à Cirey en Champagne 9 may 1748
Monsieur,
Nous sommes restez encor à la campagne attendant que vos lettres de change nous rappelassent à Paris, mais aulieu de lettres de change je reçois monsieur votre lettre du 28 avril par la quelle vous me faites l'honneur de me mander que vous avez envain tâché d'avoir ce que vous devez fournir pour votre part.
Je vous suplie très instamment monsieur de vouloir bien me dire ce que vous entendez par ces mots, pour votre part, car il me semble que c'est à vous seul que j'ay à faire, que c'est à vous que le procez étoit intenté, que vous seul l'avez soutenu, que c'est avec vous seul que j'ay eu le bonheur de ménager un accomodement, et que si vous avez fait signer M. votre frère ce n'a été que par une surabondance de garantie qui n'étoit pas nécessaire.
D'ailleurs monsieur si vos arrangements de famille ont fait entrer M. votre frère dans cet acomodement, c'est une affaire secrette et particulière entre vous et luy. Il peut vous fournir la somme dont vous êtes convenus ensemble, mais c'est de vous seul que Mr du Chastelet est en droit d'attendre le payement total. Il est bien triste monsieur que cette attente ait été si longtemps vaine et infructueuse. Je ne peux vous dire quels chagrins et quels contretemps elle m'attire. Je me suis rendu garant de L'exécution de vos promesses; et aujourduy je n'essuye que des reproches pour avoir terminé par un accord que je croiois si heureux, un procez si dangereux. Je vous prie monsieur de me tirer par une réponse prompte et positive de L'embaras cruel où ma confiance en vous m'a plongé. Cette confiance n'est point détruitte, et j'attends tout de la parole d'honneur d'un homme de votre nom et de votre probité. C'est dans ces sentiments et avec un zèle qui ne s'est pas démenti pour votre service que je suis monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire