Du 13 juin [1746]
Il me serait bien peu séant, monsieur, qu'ayant fait le Temple de la gloire pour un roi qui en a tant acquis, et non pour l'opéra, auquel ce genre de spectacle trop grave et trop peu voluptueux ne peut convenir, je prétendisse à la moindre rétribution et à la moindre partie de ce qu'on donne d'ordinaire à ceux qui travaillent pour le théâtre de l'académie de musique.
Le roi a trop daigné me récompenser, et ni ses bontés ni ma manière de penser ne me permettent de recevoir d'autres avantages que ceux qu'il a bien voulu me faire. D'ailleurs la peine que demande la versification d'un ballet est si au dessous de la peine et du mérite du musicien, m. Rameau est si supérieur en son genre, et de plus sa fortune est si inférieure à ses talents, qu'il est juste que la rétribution soit pour lui tout entière. Ainsi, monsieur, j'ai l'honneur de vous déclarer que je ne prétends aucun honoraire; que vous pouvez donner à m. Rameau tout ce dont vous êtes convenu, sans que je forme la plus légère prétention. L'amitié d'un aussi honnête homme que vous, monsieur, et d'un amateur aussi zélé des arts, m'est plus précieuse que tout l'or du monde. J'ai toujours pensé ainsi, et quand je ne l'aurais pas fait, je devrais commencer par vous et par m. Rameau. C'est avec ces sentiments, monsieur, et avec le plus tendre attachement que j'ai l'honneur d'être, &c.