1746-04-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Augustin Paradis de Moncrif.

J'ai reçu mon très sage et très aimable amy le paquet que vous m'avez envoyé.
Je vous remercie bien davantage de votre conversation avec le père Perrussau. Il est d'une compagnie à la quelle je doi mon éducation, et le peu que je sçai. Il n'y a guère de jésuitte qui ne sache que je leur suis attaché dès mon enfance. Les jansénistes peuvent n'être pas mes amis, mais assurément les jésuittes doivent m'aimer, et ils manqueroient à ce qu'ils doivent à la mémoire du père Porée, qui me regardoit comme son fils, s'ils n'avoient pas pour moy un peu d'amitié. Le pape en dernier lieu a chargé monsieur le bailli de Tensin de me faire des compliments de la part de sa sainteté et de m'assurer de sa protection et de sa bienveillance. Je me flatte que les bontez déclarées du père comun m'assurent de celles des principaux enfans, et d'ailleurs le père Perrussau poura savoir un jour que sans avoir l'honneur de le connaître je me suis intéressé à luy plus qu'il ne pensoit. Mon attachement pour un très grand Roy hérétique ne m'a pas gâté comme vous voyez. Adieu, soyez bien sûr que je suis plus reconnaissant et plus tendre pour mes amis que pour les monarques. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

Voltaire