[c. 5 April 1746]

Monsieur,

J'ai reçu la lettre si judicieuse, si belle, & si touchante dont vous venez de m'honorer, & je l'ai vue avec autant de reconnaissance, que de plaisir & d'admiration, puisqu'elle est tout à la fois l'ouvrage de la raison, l'apologie de la vérité, & l'expression fidèle des sentiments les plus vertueux.
Dans l'usage que nous en ferons, monsieur, nous consulterons moins nos intérêts que votre gloire: rien ne peut donner plus de consolation à tout ce qui aime la vertu, le bien, la religion, que de voir les talents les plus connus plaider leur défense avec autant de zèle & d'onction.

A notre égard, nous ne pouvons être qu'infiniment touchés de la justice que vous nous rendez; elle entretiendra notre émulation; elle l'augmentera même. Nous tâcherons de conserver ce même esprit qui nous mérite votre estime: nous n'ambitionnons aucune des pompeuses chimères que la malignité & la sottise continuent à nous attribuer avec une persévérance aussi odieuse qu'affligeante pour l'humanité: nous consacrons & nos forces & nos peines, nous bornons tous nos vœux à transporter & à distribuer dans tous les états, par tout ce que nous avons l'honneur d'élever, le règne de la religion & de la vertu; l'amour du souverain, de la patrie, des devoirs; le goût des travaux utiles; la douceur & l'honnêteté des mœurs; & ces principes invariables qui font penser à agir avec suite pour le repos commun de la société & des familles. Je ne sais point si la persécution se lassera de nous éprouver, mais j'espère qu'elle ne nous découragera jamais.

Quoique je ne puisse, monsieur, attribuer l'honneur que vous me faites de vous adresser à moi qu'à la place que je remplis, je n'en suis pas moins sensible à une attention qui m'honore infiniment; je voudrois bien mériter personnellement cette distinction: peut-être n'en suis je pas si indigne, si vous avez la bonté de ne consulter, pour l'accorder, que les qualités du cœur & que l'estime aussi étendue que respectueuse avec laquelle j'ai l'honneur d'être, &c.