1767-08-10, de François Marie Coger à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, je n'ai jamais eu intention de calomnier aucun citoyen, ni d'outrager des académiciens dont je connais tout le mérite.
Je suis encore bien plus éloigné d'avoir voulu, comme vous m'en accusez, perdre un vieillard dont j'admire les talents supérieurs, quoique je déplore l'abus qu'il en fait si souvent. D'ailleurs comment les coups d'un adversaire, tel que je suis dépeint dans les deux derniers chapitres de la Défense de mon oncle, pourraient ils aller jusqu'à vous?

Je veux croire tout le bien que vous faites dans votre retraite; la renommée a soin de le publier; mais je ne puis me dissimuler à moi même tout le mal que vos écrits occasionnent parmi la jeunesse; & je suis témoin tous les jours des vives alarmes qu'ils donnent aux pères de famille sensibles à l'honneur & à la vertu. Je souhaite que vous parveniez enfin à persuader le public que vous n'avez pas la plus légère part, comme vous me l'assurez, au Dictionnaire philosophique, contre lequel il est vrai que le roi a marqué une vive indignation. C'est un trait dont plus de vingt personnes ont été témoins, de l'aveu même de m. le président Hénaut, et auquel tous les cœurs vertueux ont applaudi. Quant au Poëme de la Religion naturelle, on sait qu'il n'est point différent du Poëme de la Loi naturelle: le titre seulement a été changé dans es dernières éditions. C'est sous le premier titre qu'il a été réfuté par m. Thomas, dans de savantes réflexions imprimées chez Hérissant, à Paris, 1756.

Il est bien malheureux pour vous, monsieur, que tout le monde s'obstine à vous attribuer tant de libelles furtifs, qui ne forment qu'un cercle de frivolité, d'indécence ou d'impiété, & qui révoltent les lecteurs sensés. Pourquoi ne pas consacrer plutôt l'étendue de vos connaissances & la richesse de votre style à des ouvrages qui aient droit à l'immortalité? Votre plume est elle dont taillée aujourd'hui, pour amuser le loisir d'une foule de gens ineptes, dont les suffrages déshonorent un écrivain comme vous?

J'ose, monsieur, parler comme un homme chargé par état de donner à de jeunes disciples des leçons de sagesse & d'éloquence: & je voudrais ne trouver dans tous vos écrits que des modèles dignes de leur être présentés. Vous êtes trop judicieux, pour ne pas approuver au moins la droiture de mes intentions. C'est avec ces sentiments que j'ai l'honneur d'être,

Monsieur,

Votre très humble & très obéissant serviteur

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