1767-01-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Joseph Dorat.

Monsieur,

A La réception de la lettre dont vous m'avez honoré, j'ai dit comme St Augustin, ô felix culpa.
Sans cette petite échapée dont vous vous accusés si galamment, je n'aurais point eu votre lettre qui m'a fait plus de plaisir que l'avis aux deux prétendus sages ne m'a pu causer de peine. Votre plume est comme La Lance d'Achille qui guérissait Les blessures qu'elle faisait.

Le Cardinal de Bernis, étant jeune, en arrivant à Paris, commença par faire des vers contre moi selon l'usage, et finit par me favoriser d'une bienveillance qui ne s'est jamais démentie. Vous me faittes espérer les mêmes bontés de vous pour le peu de temps qui me reste à vivre, et je crie felix culpa à tue tête.

J'ai déjà lu, Monsieur, vôtre très joli poëme sur la déclamation; il est plein de vers heureux, et de peintures vraies. Je me suis toujours étonné qu'un art qui parait si Naturel, fût si difficile. Il y a ce me semble dans Paris beaucoup plus de jeunes gens capables de faire des tragédies dignes d'être jouées, qu'il n'y a d'acteurs pour les jouer. J'en cherche La raison, et je ne sais si elle n'est pas dans la ridicule infamie que des Welches ont attachée à réciter ce qu'il est glorieux de faire. Cette contradiction Welche doit révolter tous les vrais Français. Cette vérité me semble mériter que vous la fassiés valoir dans une seconde édition de vôtre poëme.

Je ne peux vous dire à quel point j'ai été touché de tout ce que vous avez bien voulu m'écrire. J'ay l'honneur d'être avec tous les sentiments que méritent la candeur de votre âme et les grâces de vôtre génie, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

Ma dernière lettre à Monsr le chevalier de Pezai était écritte avant que j'eusse reçu la vôtre. J'en avais envoié une Copie à un de mes amis, mais je ne crois pas qu'il y ait un mot qui puisse vous déplaire et j'espère que les faits énoncés dans ma lettre feront impression sur un cœur comme le vôtre.