1773-12-22, de Jean Baptiste Nicolas de Lisle à Louis Félix Guinement, chevalier de Keralio.

Je n’entends pas, mon cher ami, ce que vous voulez dire par ‘certaines nouvelles que je connais’.
Je n’ai lu dans aucunes les deux premiers chapitres du Taureau blanc et je n’ai trouvé la Tactique imprimée nulle part ailleurs que dans votre Gazette littéraire, où elle sied à merveille. Je voudrais seulement que Fontanelle, quand il imprime un ouvrage de mr de Voltaire, ne négligeât pas d’employer son orthographe. Il se croit travesti lorsqu’on l’imprime avec l’ancienne, et son faible, que je connais là-dessus, peut aller jusqu’à lui faire prendre en grippe l’homme qui ne se conforme pas à son établissement. Si vous étiez bien sûr que le Taureau paraît, je ne trouverais nul inconvénient à faire arriver le vôtre; mais je doute de la vérité des rapports qu’on vous fait, parce que j’ai reçu les mêmes et qu’au fait, jusqu’à présent, personne n’a pu me dire: ‘Je l’ai vu imprimé’. Voyez quel chagrin ce serait pour moi, si le patriarche avait à me reprocher de l’infidélité! Je vous avoue que je ne m’en consolerais pas. Il m’a si bien reçu, si bien traité, il me traite encore tous les jours avec tant de confiance et d’honnêteté que je me trouverais vraiment criminel de lui causer le moindre déplaisir. Un peu de patience, mon ami; nous y arriverons à temps. Je vous assure que rien ne presse. Quand il y en aurait des exemplaires dans Paris, ce seraient deux ou trois extrêmement furtifs comme tout ce qui vient de Genève; mais je pense qu’il n’y en a point et que Mgr arrivant au mois de février apportera les premiers qui se soient vus imprimés.

Si les graveurs de Strasbourg et de Paris ne demandent pas trop cher pour les dessins de la Pucelle je crois que d’après ceux de Manlich et de Mayer on fera la meilleure affaire du monde, parce que ce charmant poème n’a eu jusquà présent que des gravures horribles; mais conseillez à nos deux peintres d’être voluptueux sans indécence afin que les femmes puissent acheter l’ouvrage et parce qu’en tout l’indécence ne plait guères passé vingt ans….