au château de Tourney ce 31 auguste 1769
Monsieur,
La persévérance à défendre ceux à qui on est attaché est une vertu, l'acharnement à soutenir une critique injurieuse et injuste, n'est pas si honnête.
Quand on veut faire une critique, il faut consulter toutes les éditions, voir si elles sont conformes, examiner si une faute d'imprimeur que la malignité rejette souvent sur un écrivain, n'est pas corrigée dans les dernières éditions. Un censeur est une espèce de délateur; plus son rôle est odieux, plus il a besoin d'exactitude; il faut qu'il ait raison en tout.
Celui qui fait imprimer dans le Recueil d'une académie des outrages contre un homme d'une autre académie, manque à toutes les bienséances. Il ne faut pas dire: je parierais bien que Mr. de *** n'a pas lu le livre dont il parle, parce que cette expression, je parierais bien, est d'un stile très bas; parce que dire à une homme: vous ne connaissez pas les choses dont vous parlez, est une injure grossière; parce qu'il est évident que vous auriez perdu votre gageure; par ce que non seulement l'homme que vous outragez connaît les choses dont il parle, mais les fait quelquefois connaître au public d'une manière à faire repentir ceux qui l'insultent au hazard; par ce que ce n'est pas une excuse valable de dire, comme vous faites: son nom est venu au bout de ma plume. Vous sentez, Monsieur, que le vôtre peut venir au bout de la sienne et être connu du public.
Permettez moi, Monsieur, de faire ici une réflexion générale. Une des choses qui révoltent le plus les honnêtes gens, c'est cette obstination à vouloir pallier son sort. Se tromper est très ordinaire, insulter en se trompant est odieux. Chercher mille prétextes pour faire acroire qu'on a eu raison d'insulter un homme à qui on devait des égards, est le comble du mauvais procédé. Au reste, la personne avec laquelle vous en avez si mal agi, n'a jamais lu votre ouvrage, elle en a été avertie par quelques amis. J'ai vengé la vérité, j'ai fait mon devoir et vous n'avez pas fait le vôtre.
Je suis, Monsieur &c.
Bigex
P. S. Vous pensez, à ce que je vois par votre dernière lettre, que l'on m'a dicté mes réponses. Vous vous trompez en cela comme dans tout le reste. Je ne suis d'aucune académie, mais je sais m'exprimer et je connais les devoirs de la société.