1746-01-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Mon cher amy, j'ay entendu dire en effet dans ma retraitte de Versailles qu'après le départ de M. le duc de Richelieu, il étoit arrivé deux figures jouant de la flutte en parties; ma figure dans ce temps là étoit fort embarassée d'une espèce de dissenterie qui m'a retenu quinze jours dans ma chambre, et qui m'y retient encore.
L'air de la cour ne me vaut peutêtre rien; mais je n'étois point à La cour, je n'étois qu'à Versailles où je travaillois à extraire dans les bureaux de la guerre, les mémoires qui peuvent servir à l'histoire dont je suis chargé. J'ay la bonté de faire pour rien ce que Boyleau ne faisoit pasétant bien payé, mais le plaisir d'élever un monument à la gloire du roy, et à celle de la nation vaut toutes les pensions de Boyleau. J'ay porté cet ouvrage jusqu'à la fin de la campagne de 1745, mais ma détestable santé m'oblige àprésent de tout interrompre. Je suis si faible qu'à peine je peux tenir ma plume en vous écrivant. Je suis même trop mal pour hazarder de me transporter à Paris. Voylà comment je passe ma vie, mais les beaux arts et votre amitié feront éternellement ma consolation. Adieu mon cher amy.

V.