à Prangin 13 février [1755]
Mon héros,
J'apprends que Monsieur le duc de Fronsac est tiré d'affaire, et que vous êtes revenu de Montpellier avec le soleil de ce pays là sur le visage, enluminé d'un Erézipèle.
J'en ay eu un moy indigne et je m'en suis guéri avec de l'eau. C'est un cordial qui guérit tout. Il ne donne pas de force aux gens nez faibles comme moy, mais vous êtes né fort, et votre corps est tout fait pour votre belle âme. Peutêtre êtes vous àprésent quitte de vos boutons.
J'eus l'honneur en partant de Lyon d'avoir une explication avec M. le Cardinal de Tensin sur le concile d'Embrun. Je luy fournis des preuves que les écrivains ecclésiastiques appellent petits conciles, les conciles provinciaux et grands conciles les conciles œcuméniques. Il sait d'ailleurs mon respect pour luy et mon attachement pour sa famille, etc.
Je n'ay qu'à me louer àprésent des bontez du Roy de Prusse etc…; mais cela ne m'a pas empêché d'acquérir sur les bords du lac de Genève, une maison charmante et un jardin délicieux. Je l'aimerais mieux dans la mouvance de Richelieu. J'ay choisi ce canton séduit par la bauté inexprimable de la situation, et par le voisinage d'un fameux médecin, et par L'espérance de venir vous faire ma cour quand vous irez dans votre Roiaume. Il est plaisant que je n'aye de terres que dans le seul pays où il ne m'est pas permis d'en acquérir. La belle loy fondamentale de Geneve est qu'aucun catholique ne puisse respirer l'air de son territoire. La République a donné en ma faveur une petite entorse à la loy, avec tous les petits agrémens possibles. On ne peut ny avoir une retraitte plus agréable ny être plus fâché d'être loin de vous. Vous avez vu des suisses, vous n'en avez point vu qui aient pour vous un plus tendre respect que
V. et D.