1744-05-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Joseph Thoulier d'Olivet.

Si Marc Tulle avoit écrit en français mon cher abbé, il auroit écrit comme vous.
Je vous remercie de votre traduction que je regarde comme un chef d'œuvre. Il est vray qu'il étoit fort difficile de donner Cicéron par pensées détachées. On ne peut pas faire de jolies tabatières d'un grand morceau d'architecture dans lequel il n'y a point de petits ornemens. Cependant vous avez trouvé le secret de faire lire par parcelles un homme qu'il faut lire tout entier.

Je n'ay pas entendu ce que vous voulez dire dans votre préface par opulence mal distribuée, àmoins que ce ne soit les cent mille écus de rente des moines de Clervaux mes voisins, tandis que l'abbé de Berni n'a pas huit cent livres de revenu, et que l'auteur de Radamiste meurt de faim, et que le fils du grand Racine est obligé d'être en province directeur des fermes. Je comprends encor moins les plaintes que vous faites de notre luxe outré, tandis que nos princes du sang sont à peine logez, et qu'il n'y a pas une maison dans Paris comparable à celles de Genes; personne n'a de pages, il n'y a pas à Paris ce qui s'apelle un bau carrosse, un homme qui marcheroit avec trois laquais se feroit sifler. La mode des grandes livrées est presque abolie. On vit très commodément mais sans faste. Aparemment que vous songiez aux soupers de Lucullus et aux voiages d'Antoine quand vous nous avez dit ces injures; mais nous ne devons pas payer pour les Romains dont nous n'avons ny les vertus ny les vices. J'aimerois mieux que vous voulussiez jouir des agrémens de votre siècle que de les injurier. Un souper en bonne compagnie vaut mieux que des réfl[exions de censeur misanthrope . . .] retrouver au . . . combien je voi . . . maître et mo . . . .