Monsieur,
L'homme à sentiment est citoyen de l'Univers. Il partage l'affliction de ses frères, et nul événement ne lui est étranger. Il est encore plus sensible à tout ce qui peut intéresser l'Etat où il a pris naissance. C'est sur ce principe, Monsieur, que j'ai la confiance d'intéresser votre excellent cœur à l'infortune d'une paroisse de Bourgogne qui vient d'éprouver les horreurs du plus funeste incendie, et dont le détail est ci joint dans une feuille imprimée. Orné des plus brillantes et des plus précieuses qualités dont l'Etre suprème ait jamais enrichi un mortel, Vous devez, Monsieur, un retour à la main libérale qui Vous a prodigué ses dons. Vous êtes enfant de l'Eglise; la Religion a sur vous des droits que votre esprit si éclairé ne peut méconnoitre. Dieu vous a fait pour lui, et c'est de son bonheur même que Vous devez être heureux. Tout le reste est indigne de l'Auteur admirable de l'immortelle Henriade et de la chrétienne Zaïre. Oui, Monsieur, Ferney, ce séjour enchanté, Ferney, ses plaisirs, ses agrémens, ses délices n'ont rien qui puisse satisfaire pleinement vos désirs.
Je n'oserois, Monsieur, Vous envoyer un discours sur la beauté de la Religion chrétienne sans au préalable Vous en demander la permission. Il n'y a rien qui puisse offenser personne, rien qui déplaise à un esprit raisonnable. Voilà, Monsieur, ce qui me fait espérer que Vous voudrez bien consentir à ma proposition. Peutêtre après avoir lu l'ouvrage, direz-vous: Ah le bon curé, ah le bon curé! Le Curé répondra: Monsieur de Voltaire, l'illustre Voltaire mérite d'être célébré au Temple de mémoire où il tiendra la prémière place, son nom inscrit dans les fastes de l'Eternité y vivra toujours.
Agréez, Monsieur, les sentiments d'estime et de respect avec les quels j'ai l'honneur d'être,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Duminy
Curé de Cravant
ce 30 avril 1777 en Cravant en Bourgogne par Auxerre