16 avril [1743]
‘Vous devriez avertir charitablement Voltaire’, disait hier une femme de qualité à un homme de marque, ‘de ne pas parler si souvent du roi de Prusse et des liaisons intimes qu'il a avec ce monarque; malgré son crédit, il pourrait donner de l'inquiétude au ministère; on a plus de prétextes qu'il n'en faut pour le chagriner, et il me semble qu'il devrait être plus sage.’
‘Vous êtes dans l'erreur, madame,’ reprit l'homme de marque, ‘Voltaire sait qu'il ne tient à rien ici, qu'il a le parlement à dos et beaucoup d'ennemis, et profite de la circonstance des affaires. L'on a besoin du roi de Prusse, on n'a garde de le chagriner; et de l'humeur singulière dont est ce prince, il se formaliserait sûrement si l'on faisait un mauvais parti à ce poète. Aussi Voltaire ne demande pas mieux qu'on le croie bien avec ce prince, et je suis persuadé qu'il ne néglige rien pour accréditer cette opinion. D'ailleurs on peut se servir de lui pour traiter avec le roi de Prusse: en voilà plus qu'il n'en faut pour mettre cet homme à l'abri des traverses que vous imaginiez qu'il courait’.