[February 1743]
Il y a longtemps, monsieur, que je suis persécuté par la calomnie et que je la pardonne.
Je sais assez que depuis les Socrate jusqu'aux Descarte, tous ceux qui ont eu un peu de succès ont eu à combattre les fureurs de l'envie; quand on n'a pu attaquer leurs ouvrages ni leurs mœurs, on s'est vengé en attaquant leur religion.
Grâces au ciel, la mienne m'apprend qu'il faut savoir souffrir. Le dieu qui l'a fondée fut, dès qu'il daigna être homme, le plus persécuté de tous les hommes. Après un tel exemple, c'est presque un crime de se plaindre; corrigeons nos fautes, et soumettons nous à la tribulation comme à la mort. Un honnête homme peut à la vérité se défendre, il le doit même, non pour la vaine satisfaction d'imposer silence à l'imposture, mais pour rendre gloire à la vérité. Je peux donc dire devant dieu, qui m'écoute, que je suis bon citoyen et vrai catholique, et je le dis uniquement parce que je l'ai toujours été de cœur. Je n'ai pas écrit une page qui ne respire l'humanité, et j'en écrit beaucoup qui sont sanctifiées par la religion. Le poème de La Henriade n'est d'un bout à l'autre que l'éloge de la vertu qui se soumet à la providence; j'espère qu'en cela ma vie ressemblera toujours à mes écrits.
Je n'ai jamais surtout souillé ces éloges de la vertu par aucun espoir de récompense, et je n'en veux aucune que celle d'être connu pour ce que je suis.
Mes ennemis me reprochent je ne sais quelles lettres philosophiques. J'ai écrit plusieurs lettres à mes amis, mais jamais je ne les ai intitulées de ce titre fastueux. La plupart de celles qu'on a imprimées sous mon nom ne sont point de moi, et j'ai des preuves qui le démontrent. J'avais lu à m. le cardinal de Fleury celles qu'on a indignement falsifiées; il savait très bien distinguer ce qui était de moi d'avec ce qui n'en était pas. Il daignait m'estimer; et surtout dans les derniers temps de sa vie, ayant reconnu une calomnie infâme dont on m'avait noirci au sujet d'une prétendue lettre au roi de Prusse, il m'en aima davantage.
Les calomniateurs haïssent à mesure qu'ils persécutent; mais les gens de bien se croient obligés de chérir ceux dont ils ont reconnu l'innocence.