1742-12-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à César de Missy.

Je n'ay reçu mon cher monsieur votre lettre du dix huit novembre qu'hier onze décembre.
J'y réponds le plus vite que je peux. Je me hâte de vous dire combien je vous suis obligé. Que vous êtes heureux d'être dans un pays libre! où on peut imprimer Mahomet sans craindre de déplaire à ces espèces de turcs qui se disent crétiens, et qui ne le sont que pour envenimer ce qu'il y a de plus innocent, et pour persécuter les plus honnêtes gens!

Venons vite au fait. Il faut qu'il y ait eu un feuillet d'égaré dans le troisième acte dont vous me parlez. Je vous envoye cy joint une copie de la scène entière telle qu'elle doit être imprimée.

Vous vous moquez de moy de me consulter sur la ponctuation et sur l'ortographe, vous êtes le maître absolu de ces petits peuples là comme des plus grands seigneurs de mon royaume.

Ont adouci des miens les longues injustices: c'est sans doute, eût adouci. Cela ne fait pas de difficulté.

Esce ton fils que ton bras me ravit: c'est que mon bras te ravit.

Passons. Mêmes s'écrit avec et sans s selon le besoin.

Ces nœuds, ces chastes nœuds qu'un dieu formoit en nous sont, est je croi préférable a font. Jugez en. Ce sera comme vous voudrez.

Enfonce innocemment le poignard dans mon cœur est je croi la bonne leçon.

Mets ta férocité : ta est nécessaire.

D'un œil, d'un cœurplus content, ad libitum.

De ton affreux secret me semble mieux que de cet affreux secret.

Voylà à peu près touttes les difficultez levées. Il est vray qu'on imprime aussi cette pièce a Amsterdam, mais sous les yeux de correcteurs si ignorants, que je n'ay d'espérance qu'en vos bontez. D'ailleurs imprime qui veut, je peux faire présent de mon ouvrage en plus d'un pays.

Vous me ferez un extrême plaisir d'envoyer un ou deux exemplaires au roy de Prusse et le plaisir seroit complet si vous honoriez l'ouvrage d'un petit mot de vous. Je me croirois alors bien vengé des fanatiques.

Disons àprésent un petit mot de Blaise Pascal, patriarche du fanatisme janséniste.

Où a t'il pris sa règle que de deux contraires quand l'un est faux l'autre est vray? On avoit sagement pour son honneur suprimé cette pensée . . . N'y a t'il pas mille choses contraires également fausses, en morale, en histoire, en métaphisique?

Dix anges ont tué quatre ânes, quatre ânes ont tué dix anges, le pape a fait un enfant à la sultanne Validé, la sultanne Validé a fait un enfant au pape: voylà les propositions qu'on apelle contraires.

Vous m'apportez un exemple de deux propositions qui ne sont que contradictoires: l'espace est infini, l'espace n'est pas infini. Vous apellez les miennes des inverses, mais révérence parler, les inverses sont tout autre chose. Ce sont propositions qui se confirment mutuellement.

Comme par exemple: tout mobile attiré par un centre décrit aires égales en temps égaux, tout mobile qui décrit aires égales en temps égaux est attiré vers un centre etc.

Pascal étoit assurément un grand et respectable génie. Mais les gens qui prennent pour des oracles des idées informes qu'il jette sur le papier pour les examiner ensuitte et les proscrire en partie sont de pauvres gens.

Faisons actuellement un petit voiage du jansénisme à l'histoire. Où en est on je vous prie en Angleterre de cette histoire universelle qu'on débite feuille à feuille?

Enfin par quelle voye pui-je vous envoier une petite édition de Genève de mes folies, toutte pleine de fautes d'impression que je vais corriger à la main?

Dites moy aussi comment je peux vous témoigner ma reconnaissance de vos soins. Donnez moy donc quelques ordres pour Paris. J'aurois bien de la joye à vous obéir. Je vous assure que je vous aime sur vos lettres comme ceux qui vivent avec vous doivent vous aimer.

Adieu monsieur, vous êtes un homme.

V.

acte 3 e

scène 1 re

SEIDE, PALMIRE

Demeure, quel est donc ce secret sacrifice?
Quel sang a demandé l'éternelle justice?
Ne m'abandonne pas.

SEIDE

Dieu daigne m'apeller.
Mon bras doit le servir, mon cœur va luy parler.
Omar veut à l'instant par un serment terrible
M'attacher de plus près à ce maître invincible.
Je vais jurer à dieu de mourir pour la loy,
Et mes seconds serments ne seront que pour toy

PALMIRE

D'où vient qu'à ces serments je ne suis point présenté?
Si je t'acompagnois j'aurais moins d'épouvante.
Omar, ce même Omar, loin de me consoler
Parle de trahison, de sang prêt à couler,
Des fureurs du sénat, des complots de Zopire.
Les feux sont allumez, bientôt la trêve expire.
Le fer cruel est prest, on s'arme, on va frapper,
Le pontife l'a dit, je ne puis vous tromper,
Je crains tout de Zopire, et je crains pour Seide.

SEIDE

Croirais je que Zopire ait un coeur si perfide?
Ce matin comme otage à ses yeux présenté,
J'admirois sa noblesse et son humanité,
Je sentois qu'en secret une force inconnue
Enlevoit jusqu'à luy mon âme prévenue.
Soit respect pour son nom, soit qu'un dehors heureux
Me cachât de son coeur les replis dangereux,
Soit que dans ces moments où je t'ay rencontrée
Mon âme toute entière à son bonheur livrée,
Oubliant ses douleurs, et chassant tout effroy,
Ne connut, n'entendit, ne vist plus rien que toy:
Je me trouvais heureux d'être auprès de Zopire,
Je le hais d'autant plus, qu'il a sçu me séduire,
Mais malgré le couroux dont je dois m'animer
Qu'il est dur de haïr ceux qu'on vouloit aimer!

PALMIRE

Ah que le ciel en tout, a joint nos destinées!
Qu'il a pris soin d'unir nos âmes enchaînées!
Sans toy, sans mon amour, sans ce tendre lien,
Sans cet instinct puissant qui joint ton coeur au mien,
Sans la religion que Mahomet m'inspire,
J'aurois eut des remords en accusant Zopire.

SEIDE

Laissons ces vains remords et nous abandonnons
A la voix de ce dieu qu'à l'envie nous servons;
Je sors, il faut prêter ce serment redoutable.
Le dieu qui m'entendra nous sera favorable
Et le pontife roy qui veille sur nos jours,
Bénira de ses mains de si chastes amours.
Adieu, pour être à toy je vais tout entreprendre.

Scène 2 e

PALMIRE, SEIDE

D'un noir pressentiment je ne puis me deffendre,
Cet amour dont l'idée avoit fait mon bonheur.etc. comme dans la
pièce qui est entre vos mains.