1741-01-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Voulez vous mon cher ange, que Mahomet en se débattant à la fin, dise

Vous êtes tous vangez, je me connois moy même,
Je me hais, je déteste et le trône et le jour.
à Omar
Frappe, ôte moy la vie, et sauve au moins ma gloire,
Frappe, et de tant de honte étouffe la mémoire
Prends pitié de ton maitre et cache à tous les yeux
Que Mahomet coupable est faible et malheureux?

Je trouve en lisant dans le second acte, la scène entre Mahomet et Omar défectueuse. Mahomet y parle trop me semble du dessein qu'il a sur les enfans de Zopire. Un homme qui dit tout ce qu'il veut faire, ne laisse rien attendre, c'est de la bavarderie en pure perte. Je crois qu'après avoir dit

Le ciel voulut icy rassembler tous les crimes

il faudroit qu'il finit par ce vers frapant, et que prest à expliquer à Omar tous ses desseins, il fût interrompu par l'arrivée de Zopire,

Le ciel voulut icy rassembler tous les crimes,
Je veux . . . Zopire vient. Ses yeux lancent vers nous
Les regards de la haine et les traits du couroux etc.

Une des raisons qui me portent à supprimer tout ce qu'il disoit, c'est que la dernière scène du second acte est la place où il le faut dire. Il est outragé alors par un refus, il apprend qu'on veut le perdre; c'est alors que ses projets de vangeance doivent éclater. Ils deviennent même alors excusables. Son danger les justifie, et diminue l'horreur de son action.

Je vous prie donc instamment de vouloir bien ordonner au copiste de se conformer à ce changement.

Je crois qu'il vaut mieux que vous ayez la bonté de faire copier la pièce sous vos yeux que d'attendre que j'aye eu l'honneur de vous envoyer une copie faite icy. Vous serez plutôt servi; et chemin faisant vous me donnerez vos ordres sur les vers que vous voudrez que je corrige.

Mon esprit aime à dépendre du vôtre. Adieu, mille tendres respects à madame d'Argental.

V.