1742-06-20, de Georges Louis Leclerc, comte de Buffon à James Jurin.

Monsieur,

J'ai remis à Made La Marquise du Chastelet et à Messrs de Maupertuis, Nicole, Voltaire, Reaumur, Mairan et Fontenelle Les Exemplaires de votre nouveau traittéde motu aquarum &c que vous avez eu la bonté de m'adresser, et je suis très flatté de ce que vous avez voulû Monsieur faire passer par mes mains ces présents qui ont été extrêmement agréables à tous ceux qui les ont reçû; je vous en fais en particulier mes trez humbles remerciements et je puis vous assurer que je suis bien sensible à cette marque de votre souvenir.
Made du Chastelet m'a dit qu'elle vous devoit Monsieur, une réponse depuis fort longtemps au sujet des forces vives. Vous serez assurément content de ses politesses mais pour ses raisons je pense qu'elles ne vous feront pas changer d'avis car pour moy j'ai toujours regardé l'estimation des forces par le quarré des vitesses comme une Erreur de Leibnits et un malentendu misérable de la part de ses adhérants et je leur ai souvent fait un argument qui me paroit fort simple et auqu'el il ne peuvent guères mieux répondre qu'à votre excellente dissertation de vi motrice. Je suppose qu'il n'y ait dans l'univers qu'un seul Corps et une seule force. Comment sera-t-il possible d'Estimer cette force autrement que par la vitesse de ce Corps? et cette force ne sera-t-elle pas proportionelle à cette vitesse?

A l'Egard de votre nouvel ouvrage, Monsieur, entre mil belles choses j'en ai trouvé une qui m'a surpris, c'est que les Eaux jaillissent plus haut dans l'air que dans le vuide, c'est là une nouveauté bien singulière et qui d'abord paroit bien paradoxe; je n'ai pas encore eu le temps d'examiner vos preuves cepandant j'ai entreveu la possibilité de cet effet même par des raisons indépendantes du Calcul; il me paroit qu'il seroit bien facile aussi de le démontrer par Expérience. En général tout cet ouvrage me paroit plein de vérités touttes nouvelles et il faut avoüer (sans même en excepter L'hydrodynamiq. de m. Bernoulli) que nous n'avions rien de satisfaisant sur la Théorie des Eaux. Il en est à peu pret comme il en étoit des tuyaux Capillaires avant vous; mr Clairaut nous a lû à l'Académie un mémoire sur cette matière où il n'est pas absolument d'acord avec vous, Monsieur, mais j'ai pris La liberté de Luy dire qu'il me paroissoit qu'il s'étoit trompé et j'en suis convaincu. Je ne sçai s'il fera imprimer ce mémoire. En ce cas je vous en donnerai avis. Adieu Monsieur, rien n'égale la haute considération et l'estime parfaitte avec lesquelles j'ai l'honneur d'être votre très humble et très obéisst serviteur

Buffon