1741-01-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Laurent François Prault.

Je viens de recevoir une lettre de vous dans un paquet de mon neveu qui m'avoit été adressé à Bruxelles, qu'on a renvoyé à Valenciennes et à Lile (pendant deux jours que j'ay quitté Bruxelles) et qui enfin est revenu icy.
Je suis très étonné, et très fâché de ce que vous m'écrivez, qu'on dit que c'est ma faute si on vous a pris ce qui étoit dans vos magazins. En quoy ma faute? s'il vous plait? Je vous ay permis d'imprimer ce que vous avez receuilli de mes ouvrages; j'en ay même corrigé avec soin la copie que vous aviez; uniquem͞t pour vous faire plaisir. J'ay dit à mr Heraut, j'ay écrit aux ministres, qu'il étoit très faux qu'on imprimast l'histoire du siècle de Louis 14. J'ay dit, j'ay écrit qu'il n'en paroissoit que le plan raisonné, le premier chapitre; et rien autre chose. On a été content; on a dit que puisqu'il n'y avoit que le plan qui parût dans le monde cet objet ne méritoit point l'attention trop sévère du ministère. On savoit qu'il étoit imprimé en Hollande; on le trouvoit bon; et après cela on vous prend ce que l'on trouve bon qui paraisse en Hollande. Cela me paraît très cruel. Mais ce n'est nullement ma faute. Je suis persécuté, et on vous arrache votre bien. Ce n'est pas moy je croi à qui il faut attribuer ces violences.

J'ay fait ce que j'ay pu pour vous trouver de l'argent dans ces conjonctures avant que vous m'en parlassiez. Vous devez en avoir reçeu un peu, et incessament vous en aurez davantage. Je n'ay pu prévoir ny le malheur où vous êtes ny le mien. Tout ce que je prévois c'est que vous ne me répondrez pas exactement. Cependant il est très essentiel que vous m'instruisiez de la conduite de mr Ravoisier, qui ne m'a pas écrit depuis cette affaire, et qui par ce silence donne malheureusement lieu à de très tristes soupçons.

Je vous embrasse.

V.