1740-10-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

. . . le premier et l'unique moyen d'empêcher qu'il ne devienne entièrement frénétique, ce serait que votre majesté daignât écrire un mot par lequel elle témoignerait être contente de son administration, et déclarerait que loin de lui rien redemander, sa majesté veut avoir soin de lui et de sa famille et désire qu'il soit tranquille, en lui présentant cet écrit.
Je supplie votre majesté de permettre que je lui donne de sa part un quart ou la moitié de sa pension, avec quoi il pourrait vivre quelque temps à Utrecht. Je le mènerais à Utrecht moi même, et je remettrais l'argent à quelqu'un qui aurait soin de lui, et qui donnerait avis toutes les semaines de sa conduite à m. de Raesfeld, votre envoyé; je dis que je donnerais l'argent à un autre qu'à lui du moins en partie, parce qu'il pourrait le dépenser tout en quatre jours.

Je choisis Utrecht parce que j'y ai des amis, qu'il veut être en Hollande et qu'Utrecht est sur le chemin de Wésel, où on pourra ensuite aisément le transporter, si sa maladie empire.

Il y va de la gloire de votre majesté, sire, et sa compassion ainsi que son honneur l'engage à prévenir les suites funestes de l'état d'un homme si à plaindre. Il a quelque confiance en moi. Je tâcherai toujours de le calmer en attendant la réponse de votre majesté. La personne qui avait tant envie de n'avoir que votre majesté pour maître, a enfin obtenu de ses parents, qu'ils consentent à cette transmigration. Je ne sais pas encore les détails. Heureux ceux, qui s'établissent à Berlin. Voilà tout ce que je sais.

Je supplie votre majesté de me faire dire par m. de Keyserlingk, comment elle entend le quiproquo des florins. Il est triste de parler de ces misères, mais la nature humaine en est logée là. Point d'argent, point de Suisse est le proverbe de toutes les nations.

Vivez, régnez, mortel unique
Goûtez la gloire et le bonheur
De vous voir à la fin auteur
Du sujet d'un poème épique.

Je suis avec le plus profond respect et le plus tendre attachement,

Sire,

de votre majesté

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire