à Bruxelles ce 9 aoust 1740
Je crois vous avoir mandé mon cher monsieur par un petit billet, combien votre lettre du 31 juillet m'avoit étonné, et mortifié.
Les détails que vous voulez bien me faire dans votre lettre du 4 aoust m'affligent encor davantage. Je vois avec douleur, ce que j'ay vu toujours depuis que je respire, que les plus petites choses produisent les plus violents chagrins. Un mal entendu a produit entre la personne dont vous me parlez et le Suisse …. une scène très désagréable. Vous avez, permettez moy de vous le dire, écrit un peu sèchement à une personne qui vous aimoit, qui vous estimoit. Vous luy avez fait sentir qu'elle avoit un tort humiliant dans une affaire où elle croioit s'être conduitte avec générosité. Elle en a été sensiblement affligée.
Si j'avois pu vous écrire plustôt ce que je vous écrivis en arrivant à la Haye, si j'avais été à portée d'obtenir de vous que vous fissiez quelques pas toujours honorables à un homme, et que son amitié pour vous avoit méritez, je n'aurois pas aujourduy le chagrin d'aprendre ce que vous m'aprenez. J'en ay le cœur percé, mais encor une fois je ne crois pas que ce que vous me mandez puisse vous faire tort. On aura sans doute outré les raports qu'on vous aura faits. Les termes que vous m'avez sous lignez, sont incroyables. N'y ajoutez point foy, je vous en conjure. Donnez moy un exemple de philosofie, croyez que je parleray comme il faut, que je vous rendray, que je vous feray rendre la justice qui vous est due, fiez vous en à mon cœur.
Je vous étonnerai peutêtre, quand je vous diray que je n'ay pas seu un mot de la querelle du Suisse à Paris. Soyez tout aussi convaincu que vous m'aprenez de tout point, la première nouvelle d'une chose mille fois plus cruelle. Je vous conjure encor une fois de mêler un peu de douceur à la supériorité de votre esprit. Il est impossible que la personne dont vous parlez ne se rende à la raison et à ma juste douleur.
Soyez sûr que je conserve pour vous la plus tendre estime, que je n'y ay jamais manqué, et que vous pouvez disposer entièrement de moy.
V.