1748-08-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Ma chère enfant votre commandement de Lile m'inquiète plus que le commandement de Lorraine.
Quel party prendrez vous? Je n'ose vous en conseiller aucun. Tout ce que je sçai, c'est que je seray très affligé si vous quittez Paris, et que je n'aurai plus de consolation. Je serai auprès de vous les premiers jours de septembre. Je voudrois y être áprésent. Un bon douaire, et une situation plus honorée dans le monde sont des tentations aux quelles je vous diray de succomber quoy qu'il en coûte à mon cœur. Du moins le vieux et impertinent Laporte verra commandante celle qu'il n'a pas voulu voir fermière, et c'est encor une raison peut-être. Car on fait bien des choses pour les sots. Enfin vous vous déciderez entre votre philosofie et un peu d'ambition, et je souscriray à tout comme un homme qui vous aime uniquement et qui sait s'oublier pour vos intérêts. Aulieu de faire la femme à la mode, vous serez la femme à la mode; vous vous marierez contre votre inclination. Ma chère enfant je jette sur cela mon bonnet par dessus les moulins et je me résigne à votre volonté. Je vous aimeray plus que ma vie quelque party que vous preniez.

Je ne sçai rien de Semiramis. Peutêtre que Les décorations et les habits demandent plus de temps qu'on ne croyoit. Peutêtre serez vous mariée avant que Semiramis soit jouée. Adio mia cara, ma santé est affreuse. On dit qu'il y a icy beaucoup de plaisir. Nous y avons mademoiselle de la Roche sur Y on, on luy donne des opéra et des comédies. Commercy est admirable par la nature et par l'art. Le roy y rend tout le monde heureux, mais il faut de la santé pour jouir de tout cela. Ecrivez moy souvent je vous en conjure et songez que vous êtes ma seule consolation.

V.