à Commercy ce 27 [juillet 1748]
Ma chère enfant j'ay bien de la peine à revenir, malgré le plus austère régime.
Passe encor si on n'étoit puni que de ses fautes, mais n'avoir rien à se reprocher et soufrir, questo e L'diavolo. Venons à votre affaire. Elle m'intéresse plus que ma santé. Faut il que nous ne vivions pas ensemble et que je ne puisse vous tenir lieu de votre commandant de Lile? Je feray je vous le jure un violent sacrifice quand il faudra contraindre mon cœur à vous laisser aller en Flandres. Je seray réduit à souhaiter que ce commandant là, laisse bientôt une place vacante. Je ne me consoleray qu'en cas que son testament suive de près son contrat de mariage. Au reste je m'en raporte sur la conclusion à votre prudence. Vous ne ferez rien sans être bien assurée d'un grand avantage. Eh bien ma chère enfant j'iray vous voir dans votre royaume. Mais votre transpla[n]tation sera t'elle si prochaine? Je me flatte que ma santè me permettra de venir vous voir bientôt à Paris. Vous serez la seule raison de mon voiage. Semiramis en sera le prétexte en cas qu'elle ait quelque succez. Le roy a la bonté de me donner une décoration qui coûtera quinze mille francs. Autant j'en suis flatté autant je crains que cette distinction n'éguise les dents de l'envie. Je crois qu'au moins la pièce sera bien jouée. Il faudra que vous en voiyez une répétition avec votre vieux commandant prétendant. Faites moy ce plaisir ma chère enfant, et dites moy votre avis sur cette décoration, et sur le jeu des acteurs. Vous me parlez de ce petit ouvrage que je vous ay lu en manuscript. Savez vous bien que Crébillon l'avoit refusé à L'aprobation comme un ouvrage dangereux? Ce pauvre homme a perdu le peu de raison qu'il avoit. Je crois que depuis mr Palu, intendant de Lyon, l'a fait imprimer, et peutêtre y en a t'il àprésent des exemplaires à Paris. Mais le monde est aussi tiède sur les panégiriques que Crebillon est déraisonable, et probablement cette Brochure n'étant pas annoncée n'aura pas grand cours. Tenons nous en à Semiramis et qu'elle réussisse. Je vous la recomman[de]. Si elle est bien reçue à la première représe[n]tation, vous me verrez probablement à la quatrième. Je dois d'ailleurs remercier le Roy. Mais je ne viendray que pour vous e se il povero stato della mia salute me lo permesse mi gittarai alle vostre genochia e baccarei tutte le vostre Belta. In tanto io figo mile baccii alle tonde poppe, alle transportatrici natiche, a tutta la vostra persona che m'ha fatto tante volte rizzare e m'ha annegato in un fiume di delizie.