1750-08-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Ah mes chers anges il n'est plus question ny de Zulime ni d'Aurélie.
Il faut céder à sa destinée. Vous connaissez mon cœur, vous sentez quels déchirements il éprouve. Il y a longtemps que je combats, mais quand je vous parleray à Paris, vous m'aprouverez en me plaignant. Je ne vous écris aucun détail. J'aurais trop de choses à vous dire, mais je ne sçais pas quand je vous les diray. J'ignore encor si je passeray l'hiver icy, ou si je feray un assez long voiage. Quelque chose qui arrive, je ne seray probablementà Paris qu'au mois de mars. Je vous écriray toujours, vous serez ma consolation dans une si longue absense. Mes chers anges, votre amitié a fait le charme de ma vie, elle me tiendra lieu de tout Paris et de toutte la France dans quelque pays que j'habite.

Je n'ay icy ny Zulime ni Adélaide. Nous traiterons au mois de mars ces deux articles. Je suis plus occupé de la santé de madame Dargental que de l'escapade de Zulime. Je vous conjure de m'en dire des nouvelles. Hélas mon cher et respectable amy! [ne] vous reverai-je qu'en passant? et ne vous reverai-je que si tard! Quelle étrange destinée a toujours éloigné de vous un homme qui mettoit son bonheur à vous voir tous les jours? Vous répandez l'amertume sur tous les plaisirs que l'on me prodigue icy. Je vous embrasse tendrement. Je vous écriray au premier jour. Nous sommes àprésent un peu en l'air. Adieu, songez que l'homme n'est point maître de son sort, dii nos homines tanquam pilas habent.

V.

Mille tendres compliments à Mr de Pondevele, à m. de Choiseuil, à L'intrépide coadjuteur, à tous vos amis.