à Berlin ce [10 de janvier 1740]
Pour avoir Ilustré La France
Un Vieux prêtre Ingrat t'en banit;
Il radote dans son enfance:
C'est bien ainsi que l'on punit,
Mais non pas que l'on récompense.
J'ai lu la petite brochure du Siècle de Louis le grand. Si ce prince Vivoit, vous seriéz combléz d'honeurs et de bienfaits. Mais dans le siècle où nous sommes il paroit que le bon goût ainsi que Le Vieux Cardinal sont tombéz en enfance; Milord Chesterfild disoit que L'anée 25 le Monde étoit devenu fol, je crois qu'à L'année quarante il faudra le metre aux petites Maisons. Après les Chagrins et les persécutions que l'on vous succite il n'est plus permis à personne d'écrire. Tout sera donc criminel, tout sera donc condamnable, il n'y aura d'inocence, ni plus de liberté pour les auteurs: Je vous prie cependant par tout le crédit que j'ai sur Vous, par La Divine Emilie, d'achever pour l'amour de Votre gloire L'histoire incomparable dont Vous m'avéz confié le comansemens.
Laise Glapir tes envieux,
Laise fulminér le saint père,
Ce Vieu fant home imaginaire,
Idole de nos bons ajeux,
Et qui des intérêts des Cieux
Se Dit ici bas le Vicaire,
Mais qu'on ne respecte plus guère:
Laise en propos ingurieux,
Dans leur humeur atrabilaire,
Hurlér les bigots furieux.
Méprise la folle Colère
De L'héritier Octogénaire
Des Mazarins, des Richelieux,
De ce Dojen Machiaveliste,
De ce tuteur ambitieux,
Dans ses discours adroit sophiste,
Qui suit L'intérêt à La piste
Par des détours falacieux,
Et qui par l'artifice pence
De s'emparér de la balance
Que soutinrent ces fiers Anglais
Qui pour tenir l'Europe libre
Ont maintenûs dans L'équilibre
L'Autrichien et le Français.
Ecris, honore ta patrie
Sans bassese et sans flaterie
En dépit des fougeux accès
De ce Vieux prélat en furie,
Que L'ignorance et la folie
Animent contre tes succès.
Q'imposant silence aux Miracles
Loüis détruise des Ereurs,
Qu'il abolise les spectacles
Qu'à Saint Medar des Imposteurs
Présentoient à leurs sectateurs;
Mais qu'il n'opose point d'obstacles
A ces esprits supérieurs,
De l'Univers Législateurs,
Dont les écrits sont les Oracles
Des beaux esprits et des Docteurs:
O! Toi, le fils chéri des grâces,
L'organe de la vérité,
Toi qui Vois naitre sur tes traces
L'indépendente liberté!
Ne permes point que ta sagese,
Craignand l'Orage et les hazards,
Préfère à L'Instin qui te prese
L'Indolante et Mole parese
De mesieurs Gresets et Bernards.
Quand même la bize Cruelle
De son soufle impur Vient fanér
Les fleurs, productions Nouvelle,
Dont Flore peut se couroner;
Le jardinier, toujours fidelle,
Loin de se laisér Rebutér,
Va de nouveaux pour cultivér
Une fleur plus tandre et plus belle.
C'est ainsi qu'il faut réparér
Les Dégas que Cause L'Orage.
Voltaire, achève ton Ouvrage,
C'est le moyien de te Vangér.
Le Conseil Vous paroitra intéresé, j'avoue qu'il L'est efectivement, car j'ai trouvé un plaisir infini à La Lecture de l'histoire de Loüis 14 et je désire beaucoup de la Voir achevée. Cet ouvrage Vous fera plus d'honeur un jour que la persécution que Vous soufréz àprésent ne Vous Cause de Chagrin. Il ne faut pas se rebutér si aisément. Un home de Votre Ordre doit pencér que L'histoire de Louis 14 imparfaite est une banqueroute dans La république des Lettres. Souvenéz Vous de Cesar qui nageant dans les flots de la Mér tenoit ses comantères D'une Main sur sa tête pour Les conservér à la postérité.
Comment Vous parlér de mes foibles productions après avoir parlé de Vos ouvrages Imortels? Je dois cepandant Vous rendre Compte de mes Etudes. L'aprobation que Vous donéz aux 5 Chapitres de Machiavel que je Vous ai envoyéz m'encouragent à bientôt finir les 4 derniers chapitres. Si j'avois du Loisir Vous auriéz déjà Tout L'anti Machiavel avec des corections, et des aditions, mais je ne puis travaillér qu'à bâton rompû.
Ocupé sansaice à rien faire,
Le tems, cet être fugitif,
S'en Vole d'une aille légère
Et l'âge pesant et tardif
Glace ce sang bouilant et vif
Qui dans ma jeunesse première
Me fit vigilant et actif.
On m'enuje en Cérémonie,
L'ordre pédant, la simétrie
Tienent en ce séjour oisif
Lieu des plaisirs de cete vie:
Ensensent ainsi sur L'autel
Des grandeurs et de la folie.
Ce sacrifice ponctuel
Rendant mon âme apesantie
Et par les respects asoupie,
Incapable en ce tems cruel
De me frotér à Machiavel,
J'atans que fujant cete rive
Je revoye cet heureux bord
Où la Nature plus Naive,
Et où la gaité moins craintive
Sans les richesses et sans L'or
Trouvent une grâce plus vive
Dans la liberté, ce trésor
Que dans La grandeur exesive
Des fortunes qu'ofre le sort.
Les Chapitres de Machiavel sont copiéz par un de mes secrétaires. Il s'apele Gailard, sa Main resemble beaucoup à celle de Cesarion. Je voudrois que ce pauvre Cesarion fût en état d'écrire, mais la Goute Cruelle L'ataque impitoyablement partout ses membres. Depuis deux mois il n'a presque point eu de relâche.
Malgré ses Cuisantes douleurs,
La Gaité, le front ceint de fleurs,
A l'entour de son lit folâtre.
Mais la Goutte, cette Marâtre,
Change les jeunes ris en pleurs.
Dans un Coin, venant de Cithere,
Tristemant regardant sa Mère
On voit le Tendre Cupidon.
Il pleure, il gémit, il soupire
De la perte que son Empire
Fait du pauvre Césarion;
Et Bacus, Vuidant son flacon,
Répand des larmes de Champagne
Qu'un si Vigoureux Champion
Sorte boiteux de La Campagne.
Momus se rit de leurs Clameurs:
Voilà Mesieurs les imposteurs,
(Disoit il à ces Dieux Volages),
Voilà dit il de Vos ouvrages!
Ne faite plus tant les pleureurs
Mais désormais soyéz plus sage.
Je crois que mesieurs les Lapons nous ont fait La galanterie de nous envoyér quelques Zephirs échapéz de leurs Cavernes dont en vérité nous nous serions bien passéz. J'écrirais à Algarotti pour qu'il nous envoye quelque rayons du soleil de sa patrie, car la nature aux abois paroit avoir un besoin indispensable d'un petit détachement de Chaleur pour lui randre La vie. Si Ma poudre Pouvoit vous rendre la santé, je donerais dès ce moment la préférance sur le Dieu de Delft à celui d'Epidaure. Pourquoi ne puije point contribuér à votre satisfaction come à Votre santé? pour quoi ne puije vous rendre ausi heureux que vous méritéz de l'être? Les uns ont dans ce monde le Pouvoir sans La Volonté, et les autres la Volonté sans le pouvoir. Contentéz vous mon chér Voltaire de cette Volonté et de tout les sentimens d'estime avec les quels je suis,
Votre fidèle ami,
Federic
Saluéz s'il vous plait la Marquize de ma part.