à Remusberg, ce 12 d'octobre 1740
Ami, j'ai cru mourir de joie
En vous voyant prêt à venir;
Nous coulerons à l'avenir
Des jours filés d'or et de soie
Si nous pouvons vous retenir.
Mais le sort qui me persécute,
Suscite un van Duren cruel,
Contre lequel Voltaire lutte;
Pour dieu, finissez la dispute!
J'abandonne Machiavel.
Venez que votre vue écarte
Mes maux, l'ignorance et l'erreur;
Vous le pouvez en tout honneur,
Car Emilie est sans frayeur,
Et, pour moi, j'ai la fièvre quarte.
Ici, loin du faste des rois,
Loin du tumulte de la ville,
Les arts trouvent un doux asile
Et l'abri de paisibles lois
Rendent ce séjour plus tranquille.
S'aimer, se plaire et vivre heureux
Fait tout l'objet de notre étude,
Et, sans importuner les dieux
Par des souhaits ambitieux,
Nous nous faisons une habitude
D'être satisfaits et joyeux.
Mes chants pourraient ils vous séduire
A quitter vos tristes frimats?
Ou van Duren a des appas
Assez puissants pour vous induire
A ne pas voler sur mes pas?
Je cède aux charmes d'Emilie,
Votre âme et ma félicité;
Mais, pour d'autres, ma jalousie,
Plus forte et beaucoup moins soumie,
Vous réclame avec fermeté.
Assouvissez mon âme inquiète
Et, pour la rendre satisfaite,
Venez combler notre plaisir!
Qui donne, et fait longtemps languir,
Fait une faveur imparfaite.
Je suis donc en suspens qui des deux l'emportera chez vous, ou de van Duren ou de moi. A présent je pourrais le plus jouir de votre société; je suis seul, j'étudie, et rien ne me distrait; Emilie est absente, et Machiavel deviendra ce qu'il pourra.
L'affreux corrupteur de Florence
Et son scélérat d'imprimeur
Me frustreront de l'espérance
De posséder mon défenseur.
Ah! votre divine éloquence
Détruit l'argument suborneur
Que le Liégeois et son engeance
Bégayait avec tant d'hauteur.
Un trait brillant de votre bouche
Terrasse le prélat farouche,
Comme au souffle léger des vents
Se perdent les troupes abjectes
Et périssent tous les insectes,
Qui nous inondent le printemps.
De dépit au secours céleste
Ce prélat ose s'adresser;
En vain voudrait il croasser,
Sa colère seule lui reste,
Et ce prince n'ose penser,
Sans pleurer à son manifeste.
De ce vil serpent abattu,
Ami, vous êtes le saint George,
Le pied appuyé sur sa gorge;
En jouant vous l'avez vaincu.
Grâce vous soit rendue du bel écrit que vous venez de faire en ma faveur! L'amitié n'a point de bornes chez vous; aussi ma reconnaissance n'en a-t-elle point non plus.
Vos politiques hollandais
Et votre ambassadeur français
En fainéants experts critiquent et raisonnent,
D'un fauteuil de duvet sur nous lancent leurs traits,
Et sur le monde entier tout doucement s'endonnent.
Je jure qu'ils sont trop heureux
D'être immobiles dans leur sphère.
Ne faisant jamais rien comme eux
On ne saurait jamais mal faire.
C'est ce que nous autres ne pouvons pas, nous somes les Roües D'une montre politique et il faut tournér malgré que l'on en ait, et il est très naturel qu'en ce mouvement continuel quelque fois une roüe aille ou trop vite ou trop lentemens; heureux Mille fois ceux qui ne sont responsables à persone de leur Conduite et qui n'ont pour tout soin que celui de se satisfaire!
Mon frère sain et Vigoureux
Et qui se sent plus que nous Deux
Au sortir de L'aprantisage
Quite déjà L'amour Volage.
Il pense que pour être heureux
Il lui faut et prêtre et notaire.
Cher ami dans nos premiers feux
Il ne faloit que quatre yeux
Pour nous plaire et nous satisfaire.
Ces tems si doux et si charmans
S'écoulèrent hélas! trop vite.
En regretant mes premiers ans
Leur souvenir toujours m'invite
A m envolér chéz les enfans
Que L'Amour enivre à sa suite
Du plus exquis nectar des sens.
Voilà bien de la bavarderie, tout autre que moi en auroit honte, mais ce sont les efects de la fièvre et de la Chaleur. J'admire et je relis Vos beaux Vers à la marquise, tout vous fournit ocasion à dire les plus joli choses du monde, un caliou devient un brillant entre vos mains. Cesarion vous répondra sur ce que Vous lui avéz écrit, et en cas que cela ne Vous acomode pas le Marquis du Chatelet n'a qu'à atendre jusqu'au mois de Juillet de L'anée qui Vient où je pourai faire davantage pour lui.
Adieu cher Ami, divin Voltaire, je Vous aime, je Vous admire et vous estime at Ciecula Cieculorum. Valé.
Federic
Je Vous ai rendu la préface de Millan, en voici encore une que j'ai trouvée.