Il y a bien longtemps, mon charmant amy, que je ne réponds qu'en vile prose à vos agaceries poétiques, qui ont si fort l'air des lettres de Chaulieu, de Ferrand ou de la Faye.
J'ay montré à Emilie votre ingénieuse lettre. Emilie a répondu comme Benserade à Dangeau au nom des filles de la reine,
Elle m'a donc donné la permission de vous envoier les vers en question à condition que vous la renverrez sans les avoir copiez. Je suis sûr que vous serez fidèle, car c'est l'amitié qui vous fait sçavoir les ordres de la beauté.
Elle a été extrêmement contente de ces vers de votre façon,
Permettez moy s'il vous plait d'ajouter à cette pensée,
Qui est donc, me direz vous, cette divinité? est ce quelque madame de la Rivaudaye? est ce une personne en l'air? Non, mon cher Cideville,
Je vais luy montrer ce portrait là et je vous réponds qu'il est si vray qu'elle est la seule qui ne s'y reconnoitra pas. Pour moy je luy suis attaché à proportion de son mérite, ce qui veut dire infiniment.
Adieu. Vous êtes Emilie en homme, et elle est Cideville en femme. Notre amy Formont m'a écrit une lettre sur Loke, dans la quelle je crois qu'il ne s'est pas-assez souvenu des sentiments de ce philosophe. Je veux luy écrire sur cet article.
Pardon aimable Cideville, je ne vous écris point de ma main mais je suis si malade qu'il n'y a que mon cœur en vie.
V.
ce 14 aoust [1733] au soir
Renvoiez l'épître à Emilie. Vous verez que je hai Rousseau, mais qui ne sait pas haïr, ne sait pas aimer.