28 février [1739] à Cirey
Je vous ay aimé dès que je vous ay connu monsieur, et vos mœurs aimables m'ont charmé pour le moins autant que vos talents.
Je reconnais les bontez pleines d'attention, de madame de Grafigni, au soin qu'elle a eu de vous envoyer une lettre que je reçus de madame de Berniere, il y a quelque temps. Cette lettre détruisoit en effet Les calomnies infâmes que ce malheureux abbé Desfontaines avoit vomies contre moy. La justice s'est mêlée du soin de le punir, et le lieutenant de police procède actuellement contre luy. Je croi bien qu'il sera difficile de le convaincre et qu'il échapera à la rigueur des loix, mais il essuyera le châtiment que le public prononce toujours contre les ingrats et contre les calomniateurs. Ce châtiment, c'est L'exécration où il est, et quelque abîmé qu'on soit dans le crime, on est toujours sensible à cette punition. Mais pour moy je suis plus flatté de votre suffrage, qu'il ne peut être accablé par la haine publique.
Madame de Grafigni est actuellement dans une ville qui est le rendez vous des talents, et où vous devriez être. Dès que j'auray mis au net quelques uns des ouvrages dont vous me parlez, je ne manqueray pas de vous en faire part. J'ambitionne votre suffrage et votre amitié et c'est dans ces sentiments monsieur que je seray toujours bien véritablement votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire