1739-01-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je vous prie mon cher amy d'envoyer sur le champ ce paquet à Mr l'abbé Moussinot.

Pourquoy avez vous ecrit une lettre sèche, et peu convenable à made Duch? Dans les circomstances présentes, au nom de notre amitié, écrivez luy quelque chose de plus fait pour son cœur. Vous connaissez la fermeté et la hauteur de son caractère. Elle regarde L'amitié comme un nœud si sacré, que la moindre ombre de politique en amitié luy paroit un crime. Ne sentez vous pas que vous luy faites entendre que je suis l'auteur du préservatif au quel je n'ay d'autre part que la lettre au sujet de des Fontaines? Comment luy dites vous que vous haissez les libelles autant que vous aimez la critique, après luy avoir envoyé la lettre imprimée contre Castel, la lettre manuscritte contre Montcrif, les vers contre Bernard, contre la Sallé? Que voulez vous qu'elle pense? Encor une fois mandez luy que vous ne balancez pas un moment entre des Fontaines et votre amy. Rendez gloire à la vérité. Non, vous n'avez point oublié le titre du libelle de des Fontaines. Il étoit intitulé Apologie du sr V. Elle a en icy la preuve dans 2 de vos lettres. Nous en avons parlé dans votre dernier voiage. Paraître reculer, paraître se rétracter avec elle c'est un outrage. Hélas c'en seroit un de ne pas engager le combat pour son amy! que sera ce de fuir dans la bataille? Des amis de deux jours brûlent de prendre ma deffense, et vous m'abandonnerez tendre amy de 25 ans, vous donnerez a mr de Richelieu le sujet de dire encor que je suis decrié par vous même! Que dira le prince royal, que diront ceux qui savent aimer?

Peutêtre qu'à souper chez Lais ou Catulle
Cet examen profond passe pour ridicule,

mais mon amy n'est on fait que pour souper? ne vit on que pour soy? n'est il pas bau de justifier son goust et son cœur en justifiant son amy?

Dites moy tout naturellement si vous avez envoyé le libelle au p. Royal. Cela est d'une importance extrême. Parlez à mr Dargenson, dites luy les choses les plus tendres pr moy, voyez mr Dargental, écrivez au prince que je suis malade, et comptez sur votre amy pour jamais.

La poste part, le paquet n'est pas près.

J'attends de vos nouvelles, je vous embrasse.

V.