1739-01-01, de Françoise Paule Huguet de Graffigny à François Antoine Devaux.

J'ai été un peu malade ces jours passés, mon cher ami; mais ne soyez pas en peine de moi, on a des soins dont je suis confuse.
J'ai reçu la lettre que je vous mandais n'avoir pas reçue; vous m'y parlez d'un chant de Jeanne, que vous trouvez charmant; je ne me souviens plus de ce que c'est: je vous prie de me renvoyer la feuille de la lettre où je vous en parle. … Il me faut cette lettre; ne faites aucuns commentaires là dessus, ils seraient inutiles; je n'ai rien à répondre à tout le commencement de cette trop longue lettre. Vous voulez savoir les arrangements que je prends pour le mois de mars, vous vous imaginez peut-être que je resterai ici jusque là, vous vous êtes trompé; je n'y ai jamais pensé; j'y suis trop bien: plus j'y resterai, et plus j'en trouverai le changement sensible. Je croyais, comme vous, qu'il me revenait beaucoup plus sur m. Toussaint qu'il n'y a; cela ne va pas à plus de trois cents livres, après en avoir tiré cent vingt-cinq que je mande à m. Théré de vous faire tenir pour payer la rente de son mineur. Vous voyez que trois cents livres ne pourraient tout au plus que me conduire à Paris; et avec quoi se meubler et vivre jusqu'au temps où mes rentes reviendront? cela est clair; ainsi donc je fais chercher à Saint-Dizier, s'il n'y a pas un couvent où je puisse me retirer. Pourquoi Saint-Dizier, dites vous? Premièrement, c'est que quand on prend une retraite, on ne saurait trop la prendre; ainsi je veux être dans un endroit où je n'aie de commerce qu'avec mes amis; secondement, c'est pour une raison tirée de celle là, que je veux être dans un endroit où la poste soit régulière, puisque je n'ai d'autre bonheur, d'autres biens dans ce monde, que vos lettres; et du moins me sera-t-il consolant de penser que je verrai un de mes amis une heure tous les ans; car je ne puis croire qu'il passe là sans me venir voir. Ne saisissez pas, je vous prie, cet arrangement comme celui de la Montagne; je vous assure que, loin de m'affliger, je le désire comme un lieu de repos; je sens que j'ai de quoi m'occuper, soit à lire, à méditer sur le monde, ou à vous écrire; enfin, peut-être ne le ferais je pas si je pouvais faire mieux, mais puisque telle est ma destinée, il faut la remplir; passons.

Il me semble que nous étions trop bien convenus que vous ne parleriez jamais de quoi que ce puisse être, d'ici, pour me faire seulement la question que vous me faites sur Dardanus. Il faut donc que je vous le répète encore, je n'excepte rien; au nom de dieu, taisez vous… . Je vous l'avais demandé si expressément, que je croyais qu'il n'y avait plus rien à vous dire. En vérité, je suis étonnée des choses dont vous parlez avec le petit saint, et encore plus de la façon crue dont vous me les écrivez… . Je vous en supplie, mesurez un peu mieux vos termes; je vous le passe, parce que vous veniez de faire des contes avec lui, et que vous croyiez encore y être, mais cela est pitoyable… . Je ne comprends pas pourquoi le docteur doit aller passer quelques jours à Nanci, à cause du nouvel an. Ah! si fait, je n'y pensais pas; c'est que j'ai la tête un peu brouillée de vapeurs. Vous avez beau me gronder d'en avoir ici, je sais bien que cela est ridicule, mais qu'y faire? quand elles viennent, il faut les prendre: les soins et les attentions de m. de Voltaire donneraient réellement envie d'être malade pour faire valoir son bon cœur; cela serait délicat; mais comment marquer toute la reconnaissance que j'ai dans le mien? il en est plein, mais les expressions me manquent. Ton idole, ah! ton idole est le meilleur des hommes.

Adieu, mon cher Panpan, ma lettre n'est pas amusante; mais, à moins que je ne vous fasse le conte du Belier, et des Facardins, je ne puis vous rien dire autre chose, car je n'ai lu que cela.

Je n'ai pas reçu de lettre hier; je l'aurai peut-être samedi, cela revient au même, puisque j'en aurai probablement deux. Ne croyez pas, mon ami, que je vous aime moins pour être malade; nulle situation ne change celle de mon cœur, adieu tous mes chers amis. Embrassez le docteur pour moi. Pauvre docteur! …