[?20 December 1738]
Mon dieu! comme tu as pris garde à la petite douceur que je t'ai dite sur tes lettres; crois moi, mon ami, les miennes en seraient toutes pleines, si je ne comptais te dire combien je t'aime en t'écrivant tout ce qui peut t'amuser.
N'admires tu pas comme je t'écris pour t'épargner les ports de lettres?
Puisque le petit saint vient là, il va danser. Ecoutez, mon cher ami, je suis si sûre de vous, et je crois, comme je le disais tout-à-l'heure à Panpan, vous marquer mon amitié bien mieux en vous amusant qu'en vous disant des douceurs que je ne me suis pas mise en peine de vous écrire, parce que j'ai toujours dit à Panpan de vous lire tout ce qui peut vous divertir. Sautez donc, mon petit saint, devant celui qui vous montre cette lettre. Je vous ai assez ennuyés, mes chers amis, il faut bien maintenant que je tâche de vous en dédommager pendant que je trouve hors de moi de quoi le faire; c'est si vrai que si je n'y mettais que de mon cru, je serais toujours la même. Allez, allez, mon petit saint, il n'y a que la crainte de paraître un âne qui vous empêche de venir; venez en toute assurance, les ânes sont fort bien reçus ici, j'en suis un bon garant, car on ne leur parle jamais que de leurs âneries. C'est beaucoup que la dame vous souhaite, d'autant qu'elle craint les visites; mais dès que je lui eus assuré que vous sauriez lire et rester dans votre chambre, elle n'a plus fait que vous désirer: elle veut avoir le temps de travailler; mais le soir elle est charmante. J'ai fait un complot qui réussira si vous venez, c'est de jouer les Ménechmes: repassez votre rôle; et vous, docteur, repassez le vôtre aussi. C'est un régal à leur faire; ils ne le sauront que le jour que nous jouerons: j'ai tout ce qu'il faut d'acteurs et d'actrices. Si vous apprenez Gusman, vous ferez grand plaisir pour Alzire. J'ai mandé à Panpan le temps où je voudrais que vous vinssiez pour votre plaisir. Voyez, ajustez vous avec le docteur; je ne vous demande rien, et je vous souhaite vivement. Je ne sais pourquoi je n'ai pas entendu la centurie, elle est effectivement bien claire; c'est que je suis une grosse bête, et vous un charmant petit saint, qui faites de votre joli esprit tout ce que vous voulez, et de votre cŒur tout ce que vous devez.
Je te répondrai sur tes vers, puisque tu le veux, cher Panpan, mais ce ne peut être ce soir, car ma lettre a déjà été interrompue pour une répétition qui a été si mal, que bref nous ne jouerons pas. Enfin, il est tard, on va souper, et je veux répondre à tes lettres; mais il faut du temps pour examiner tes vers.
Prenez donc garde, butor, comme vous parlez de Dorothée! un peu plus de tournure, s'il vous plaît, prenez exemple sur la façon dont je vous en parle; cela ne saurait être trop éloigné de la curiosité: si votre lettre s'était perdue, ce serait un beau mystère! Quand vous voudrez en parler, songez que cela se passe sous vos yeux. Mes amis, mes amis! soyez circonspects.
J'ai fait comme le saint, j'ai sauté de joie quand on m'a dit que tu avais quelque lueur d'espérance de venir ici; mais j'avais déjà senti tes raisons, et d'ailleurs le ton de la dame t'abasourdirait; il est à mille lieues du tien, et même à deux mille de celui de la duchesse. Elle est très froide et un peu sèche; tu ne saurais quelle contenance tenir, et toutes les prévenances de ton aimable idole ne te remettraient pas. Il est bien rare qu'elle soit comme je te l'ai dépeinte d'abord au commencement de mes lettres, et encore tout cela n'est il pas du ton familier, qu'elle ne prend jamais. Je ne te dis rien sur le regret de ne te pas voir; tu me connais et tu sais si je t'aime.
Je ne réponds rien à l'article de mes affaires, que des oui, tu as raison; tu es un panpichon charmant, aimable, officieux, que j'aime de tout mon cŒur.
J'ai donc fait de la prose sans le savoir: je suis toute désolée de la diminution de sa belle mine, et des propos de ta mère. Mande moi bien tout, que je m'afflige ou que je me réjouisse avec toi. Je ne trouve pas déjà le marché de Lolotte si bon, car si le roi mourait…. Je vais la complimenter.
Bonsoir, mon ami, je ne saurais te dire ce que c'est que Boursouffle; c'est une farce qui n'a ni cul ni tête, qui est cependant bien écrite, mais hors de nature par le ridicule d'un campagnard. Va-t-en au diable, je ne finirais pas si je voulais tout te dire; et j'ai des lettres sans fin à écrire, que je n'écrirai point si je cailletais plus longtemps avec toi. Cailleter! oh! c'est une douce chose; mais voilà le souper qui sonne et je ne veux pas veiller, parce que je ne me porte pas trop bien. Je t'embrasse, ami chéri; et gros chien où est il? qu'il en ait aussi sa part, ce pauvre ami!
A propos, on appelle ici la grosse dame gros chat; chacun a ses animaux, comme tu vois. Attends, encore un mot; je ne t'ai pas dit que j'ai ri de ta belle bêtise sur m. Charmiou: oh! je te reconnais bien, tu n'y vois qu'à deux fois. Bonsoir, butor!
J'avais plié ma lettre avant souper, mais je me ravise, il faut tâter un peu de tout. Comme j'ai dit que j'écrirai à la Grandville, c'est pourquoi il n'y a rien à craindre; ainsi je veux encore te dire plus clairement que tu prennes garde aux réponses que tu me fais. Tu sais bien que je ne te parle de Nicomède, que comme si je te faisais réponse; tu dois donc faire comme si tu m'en disais des nouvelles, et ne me point répéter des faits qui sont clairs comme le jour. C'est une chose terrible que le fanatisme de cet homme sur l'abbé Desfontaines et Rousseau. Je sors d'une conversation terrible là dessus, où nous avons essayé de le persuader de les mépriser. O faiblesse humaine! il n'a ni rime ni raison quand il en parle. C'est lui qui fait faire les estampes, et qui fait les vers qui sont au bas: je ne fais pas semblant de le savoir, mais il tournaille autour de moi pour me le faire entendre, et n'ose pourtant le dire tout à fait. Quelle faiblesse! et quel ridicule cela va lui donner! Réellement le cŒur m'en saigne, car je l'aime, oui je l'aime; et il a tant de bonnes qualités que c'est une pitié de lui voir des faiblesses si misérables. La belle dame m'a fait voir à souper une lettre qu'il écrit à m. de Maupertuis, pour l'engager à faire donner quelque chose à ces Lapones dont je t'ai parlé. Il y a des vers charmans pour engager aussi tous ces mm. de l'Académie à donner. La belle dame envoie cinquante livres; quant à lui, il n'a pas voulu que l'on sût ce qu'il envoyait, mais j'ai vu que c'était tout au moins cent livres. Voilà l'homme dans ses actions généreuses. N'est ce pas beau? Je l'ai fait pleurer hier, mais pleurer à chaudes larmes, en lui contant ce que Léopold avait fait pour la M…. Il n'entend jamais parler d'une belle action sans attendrissement; cela ne mérite-t-il pas qu'on lui souhaite avec tout l'intérêt possible, moins de faiblesse dans l'esprit. Sa maladie n'est autre chose que des vapeurs; il est tout comme Desmarets était: tant qu'il est dissipé il se porte bien; dès qu'on le contrarie il est malade. Notre conversation de ce soir l'a mis dans un état horrible: ne crois pas que ce soit ma faute, c'est la belle dame qui m'a fait signe. Il ne veut pas convenir qu'il a des vapeurs; il s'en prend à ses indigestions; enfin il est positivement comme Desmarets. Il faut bien le lui dire, afin qu'à son arrivée, s'il vient, il lui donne de la confiance en Bagard: j'ai déjà commencé. Je lui ai écrit pour m. Trichateau, qui tombe du mal caduc; il m'a fait une prompte réponse et m'a envoyé une consultation que Voltaire et la dame admirent: peut-être le fera-t-on venir. J'ai déjà dit que Desmarets était tout comme lui; il grille de le voir pour parler glaires: c'est aussi sa marotte. Il a aussi la barre dans le ventre; enfin, que te dirai je? rien n'y manque. Il demande souvent s'il aime à faire de la musique; je crois qu'il voudrait en tâter. Bonsoir; j'avais dit que je ne veillerais pas, et pourtant m'y voilà; mais s'arrête-t-on jamais dans la carrière des plaisirs! mon plus grand plaisir est celui de t'écrire. Je me porte un peu mieux ce soir.
Garde toi bien de parler des estampes, tu penses bien qu'il ne les avoue pas, mais on ne manquera pas de les avouer: prends garde à ce que tu me répondras là dessus. Tâche d'avoir un peu de finesse dans tes tournures. A bon entendeur, salut!