Cirey, ce vendredi [12 December 1738] après midi
Puisque je n'ai pas grand'chose à te conter aujourd'hui, mon petit ami, il me prend envie de te copier quelque chose de l'histoire de Louis XIV, comme, par exemple, le beau portrait de Catinat, qui, je crois, te plaira.
'Catinat avait dans l'esprit une application et une agilité qui le rendaient capable de tout sans qu'il se piquât jamais de rien; il eût été bon ministre, bon chancelier comme bon général; il avait commencé par être avocat; il avait quitté cette profession à vingt-trois ans, pour avoir perdu une cause juste. Il prit le parti des armes, et fut d'abord enseigne aux gardes-françaises, en 1667. A l'attaque de la contrescarpe de Lille il fit aux yeux du roi une action qui demandait de la tête et du courage: le roi le remarqua, et ce fut le commencement de sa fortune. Il s'éleva par degrés sans aucune brigue. Philosophe au milieu des grandeurs et de la guerre, les deux plus grands écueils de la modération; libre de tout préjugé et n'ayant point l'affectation de paraître les mépriser; la galanterie et le métier de courtisan furent ignorés de lui; il en cultiva plus l'amitié et en fut plus honnête homme. Il accepta depuis le bâton de maréchal de France, qu'il méritait, et refusa l'honneur d'être chevalier de l'ordre, parce que c'est une distinction qui semble être le partage de la naissance et non des services. Il vécut aussi ennemi de l'intérêt que du faste: philosophe en tout, à sa mort comme dans sa vie.'
A sept heures du soir
Il me semble que tu m'entends dans ma chambre, et que je viens te raconter ce que je vois et ce que j'entends. Comme je t'écrivais, tantôt on est venu m'appeler, c'était pour entendre le reste de Mérope; mais il a fallu essuyer une longue toilette. Me voici enfin de retour, ayant le cŒur plus gros qu'un ballon. J'ai pleuré aux sanglots. Ces trois derniers actes sont admirables: sans amour, l'intérêt est plus vif que celui de Zaïre. Il y a dans le troisième acte une scène semblable à celle de Saint-Lambert, du moins pour la décoration: c'est un temple dans l'enfoncement où Mérope va égorger son propre fils, le prenant pour son assassin. Le gouverneur de ce fils, qui est arrivé là comme de cire, mais cependant avec vraisemblance, se réjouit d'avoir ce cadeau, et se tient à l'écart pour voir quelle mine fera le meurtrier en mourant: dans le moment que Mérope lève le bras, il reconnaît son pupille, et arrête les coups de la mère, qui est si aise et si fâchée en même temps, qu'elle en tombe en pâmoison. Il semble que l'intérêt ne puisse augmenter, et cependant c'est bien pis; car si l'on a pleuré au troisième acte, on s'arrache les cheveux au quatrième, et on s'égratigne le visage au cinquième, dont l'intérêt n'est presque que dans le récit d'une suivante: mais c'est le plus beau récit qui soit dans le pays des récits. Il faudra ressusciter la le Couvreur pour le jouer, car le poète ne trouvera point d'actrice pour cela. La fin est qu'on pleure de joie; c'est Mérope qui, au sortir d'une échauffourée faite dans le temple, où son fils a tué le tyran, vient dire au peuple que c'est son fils: elle le dit si chaudement, elle est si transportée de joie et si pénétrée de crainte, qu'on ne la croit pas sur sa parole; elle pousse alors ce pauvre vieux gouverneur, jusqu'à le faire tomber afin de le faire parler et de lui faire confirmer ce qu'elle vient de dire; du moins je crois voir cela, et le vieux bonhomme lui répond: 'Tant que vous parlerez je ne pourrai me faire entendre': elle se jette alors dans ses bras, et la pièce finit dans cet embrassement qui fendrait des pierres. C'est indigne de parler ainsi de quelque chose d'aussi beau; mais qu'y faire? Tu sens bien que c'est ma façon, et je t'assure que je pleurerais en te contant la chose, si je ne la tournais en bouffonnerie; mais ce que je veux bien pleurer c'est ce pauvre Voltaire qui ne se portait pas bien, et qui se démenait comme un diable dans un bénitier: il nous a prié de sortir bien vite pour lui laisser le temps de s'évanouir; tout de bon le voilà qui s'est trouvé mal, et nous invite à le laisser.
Si je ne t'ai rien dit du soir et du matin, c'est que ça ne vaut pas la peine d'être conté: cependant nous passâmes hier la soirée à voir les figures du cylindre et autres machines; ainsi que de l'or dans le microscope aux liqueurs. C'est la plus belle chose du monde; mais il est vert et point du tout jaune. Ce n'est pas en billon qu'on le voit à travers d'un verre, mais bien en feuille. Ce matin le café n'a été que ravaudage. Le frère est assez bon conteur, cependant il n'y a qu'un de ses contes qui vaille la peine d'être écrit à un homme aussi délicat que toi; le voici:
Le curé de Saint-Sulpice, étant avec le cardinal, lui dit qu'il avait vu son portrait chez un peintre, très bien fait; c'est le portrait qui était bien fait, comme vous allez voir. Le cardinal lui dit: 'Ne lui avez vous rien demandé?' 'Non, monseigneur; il est trop ressemblant.' Que cela soit vrai ou non, je trouve le mot excellent: il peut être vrai, parce que le curé est en plaisanterie avec la Fleur sur ce qu'il demande toujours pour son hôpital.
Madame du Châtelet grille de voir Desmarets, elle vient encore de me dire de lui mander de venir et d'apporter dans sa tête le père Euphémon et le père Lusignan; car on jouera dès qu'il aura mis pied à terre: s'il est à Lunéville dis lui tout cela; je ne crois guère qu'il puisse venir: où diable prendra-t-il de l'argent? Enfin je voudrais pourtant bien savoir ce que vous faites, vous autres; cela me cause un tourment dans l'âme, que rien ne dissipe. Cependant je veux te faire faire hum, hum! parce que je vais te transcrire ce que Voltaire dit de Léopold. J'ai pleuré ce matin, mais bien; toutefois il ne faut pas trop tourner le robinet, tant que la poste ne sera pas arrivée; Dieu veuille ensuite que je ne pleure pas de son arrivée.
Il est question de la paix de Riswick.
'Ce fut enfin par cette paix que la France rendit la Lorraine qu'elle possédait depuis sept cents années. Le duc Charles v, appui de l'empire et vainqueur des Turcs, était mort; son fils Léopold prit à la paix de Riswick possession de sa souveraineté, dépouillée, à la vérité, de ses droits réels, car il n'était pas permis au duc d'avoir des remparts à sa capitale; mais on ne put lui ôter un droit plus beau, celui de faire du bien à ses sujets; droit dont jamais aucun prince n'a si bien usé que lui. Il est à souhaiter que la dernière postérité apprenne qu'un des moins grands souverains de l'Europe a été celui qui a fait le plus de bien à son peuple. Il trouva la Lorraine désolée et déserte; il la repeupla, il l'enrichit; il l'a conservée toujours en paix, pendant que le reste de l'Europe a été ravagé par la guerre. Il a eu la prudence d'être toujours bien avec la France, et d'être aimé dans l'empire, tenant heureusement ce juste milieu qu'un prince sans pouvoir n'a presque jamais pu garder entre deux grandes puissances. Il a procuré à ses peuples l'abondance qu'ils ne connaissaient plus. Sa noblesse, réduite à la dernière misère, a été mise dans l'opulence par ses seuls bienfaits. Voyait-il la maison d'un gentilhomme en ruine? il lafaisait rebâtir à ses dépens. Il payait leurs dettes; il mariait leurs filles; il prodiguait des présens avec cet art de donner qui est encore au-dessus des bienfaits; il mettait dans ses dons la magnificence d'un prince et la politesse d'un ami. Les arts, dans sa petite province, produisaient une circulation nouvelle, qui fait la richesse des Etats. Sa cour était formée sur le modèle de celle de France. On ne croyait presque pas avoir changé de lieu quand on passait de Versailles à Lunéville. A l'exemple de Louis XIV, il faisait fleurir les belles lettres. Il a établi dans Lunéville une espèce d'université sans pédantisme, où la jeune noblesse d'Allemagne venait se former. On y apprenait de véritables sciences dans des écoles où la physique était démontrée aux yeux par des machines admirables. Il a cherché les talents jusque dans les boutiques et dans les forêts pour les mettre au jour et les encourager. Enfin, pendant tout son règne, il ne s'est occupé que du soin de procurer à sa nation de la tranquillité, des richesses, des connaissances et des plaisirs. Je quitterais demain ma souveraineté, disait-il, si je ne pouvais faire du bien: aussi a-t-il goûté le bonheur d'être aimé; et j'ai vu longtemps après sa mort ses sujets verser des larmes en prononçant son nom. Il a laissé en mourant son exemple à suivre aux plus grands rois, et il n'a pas peu servi à préparer, à son fils le chemin du trône de l'Empire.'
Es tu content, Couci? Pour moi je le suis, si je vous amuse, mes pauvres amis; mais puisque je suis toujours au milieu de vous par ma pensée, je veux y être aussi de façon que forcément vous pensiez à moi.
Quoi! encore écrire une fois aujourd'hui; ah! cela est trop fort, car il est minuit et demi, je meurs de sommeil et d'envie de dormir; mais j'oublierais ce que je veux te mander si je le remettais à demain. Tu sauras donc qu'on a ri jusqu'à s'épanouir la rate, durant tout le souper et l'après-souper, des contes qu'ont faits Voltaire et le frère. Il y en a qui ne peuvent être bons qu'en connaissant les gens, ou que par la façon de les dire; mais en voici un qui je crois, sera bon partout: c'est de l'ambassadrice d'Espagne qui vient d'arriver à Paris.
Elle est affreusement laide, vraiment! c'est un beau singe. Cette charmante personne demanda quelle était cette grosse dame qu'elle avait rencontrée dans son carrosse avec un monsieur sur son devant; par toutes les circonstances qu'elle ajouta, on lui dit que c'était madame de Modène, et que pour la dignité de son rang elle menait quelqu'un avec elle. L'ambassadrice, qui avait déjà fait connaissance avec madame de Brancas, fut la trouver le lendemain, et lui dit: 'Madame, vous êtes mon amie, dites moi je vous prie, combien il faut que je mette d'hommes sur mon devant pour ma dignité?'
Maintenant, fais silence et écoute Voltaire: il prétend qu'à force de copier ses ouvrages, son valet de chambre s'entend un peu aux vers; pour le prouver, il raconte qu'il le surprit un jour écrivant à une petite fille qu'il aimait, et qu'il avait mis tout au travers de sa lettre:
En copiant, voici comme il avait écrit un vers:
Et voilà comme il les retient par cŒur. On le priait de dire quelque chose des ouvrages de son maître; après s'être fait beaucoup presser, s'excusant sur ce qu'il ne voulait pas abuser de la confiance d'un si bon maître, il dit qu'il ne savait de la Jeanne que son portrait; le voici:
Eh bien! ne pouffes tu pas de rire comme moi? En vérité il faut que je fasse en ce moment un effort de gravité pour pouvoir continuer, car je me tiens encore les côtes; mais comme mon amitié ne veut pas que tu sois étranger au plaisir que je goûte d'être ici, je me compose, et je continue. Voici comme il corrige les fautes de son maître; il y avait ces deux vers:
Voltaire avait oublié ans, son valet de chambre trouva que cela ne rimait pas, et les racommoda ainsi:
Enfin il y en a mille comme cela que je trouve fort plaisants, et que je regrette beaucoup de ne pouvoir te mander. On conta aussi la méprise de la reine Anne d'Autriche, à qui on venait de dire qu'un général avait acculé le prince Eugène, de façon qu'il aurait peine à s'en tirer. Le roi entra, elle courut à lui, et lui dit: 'Ah! sire, est il vrai qu'en Italie, le maréchal (j'ai oublié le nom) a enc . . . le prince Eugène? . . . .' Le roi confondu, se tourna sans répondre, et la reine, qui croyait que le roi ne l'avait pas entendue, le répétait encore, lorsqu'une dame s'approcha d'elle, et lui apprit comment il fallait dire. Apprends moi à ne plus t'aimer si tu l'oses!
Ce samedi [13 December], à six heures du soir
Bonsoir, la poste va arriver; dieu! je l'attends en tremblant: il y a plus d'une heure que j'en ai déjà des vapeurs. Le déjeuner a été fort gai, et je ne saurais dire de quoi. Voltaire nous a encore lu une épître pour prouver que l'on peut être heureux en toutes sortes d'états et de conditions. Elle est aussi bien raisonnée et versifiée, qu'elle puisse l'être; mais si j'en savais faire, je lui prouverais bien qu'on n'est pas heureux dans toutes sortes d'états. Ses épîtres, au nombre de six, sont en Hollande pour être imprimées. Nous lui avons fait une huée horrible, parce qu'il adresse celle qu'il nous a lue aujourd'hui à Thiriot, sans le nommer pourtant, mais Thiriot le dirait assez. Il est étonnant l'amitié qu'il a pour cet homme; car c'est uniquement par reconnaissance qu'il le fait; cependant j'ose croire qu'il y a aussi de la fantaisie: il lui donne tout le profit de ses épîtres. Ce sont des livres à imprimer qu'il a donnés à l'abbé de Lamarre. Il ne tire plus rien de ses éditions; je crois te l'avoir mandé: je voudrais bien aussi qu'il me donnât sa Mérope. En farfouillant ce matin à la dérobée dans un de ses porte-feuilles, j'ai vu une comédie dont je n'avais pas encore entendu parler: il corrigera la scène de Mérope qui m'a déplu; en vérité, sa complaisance est extrême, il se laisse tout dire, il remercie, il dit: 'Vous me faites plaisir, vous avez raison; oui c'est bien ça, il y a bien de l'esprit dans cette critique! . . . .' Et moi je dis, il n'y a donc de l'orgueil que dans les mauvais auteurs, et de la bonne vanité que dans les bons; car il aime la louange, et convient que c'est un tribut qui lui plaît.
Mon dieu! la poste ne vient point; mais crois tu qu'elle vienne? . . . . En attendant je vais encore te transcrire un trait qui m'a paru bien singulier. Il est question du siège de Barcelonne, que les Allemands faisaient, aidés des Anglais, commandés par milord Péterborough.
'Tandis qu'il parlait au gouverneur à la porte, la herse baissée entre eux, on entendit des cris et des hurlements. "Vous me trahisez," lui dit le gouverneur, "nous capitulons avec bonne foi, et voilà vos Anglais qui sont entrés dans là ville par les remparts; ils égorgent, ils violent, ils pillent". "Vous vous méprenez, monsieur le gouverneur," lui répondit milord Péterborough, "il faut que ce soient les Allemands du prince d'Armstadt. Il n'y a qu'un moyen de sauver la ville, c'est de me laisser entrer avec mes Anglais, je chasserai les Allemands et je reviendrai à la porte achever la capitulation". Il parlait d'un ton de vérité et de grandeur qui, joint au danger pressant, persuada le gouverneur. On le laisse entrer, il court avec ses officiers chasser les troupes allemandes, il leur fait quitter même le butin qu'elles enlevaient; il trouve la duchesse de Popoli entre les mains des soldats près d'être déshonorée, il la rend à son mari; enfin, après avoir tout apaisé, il retourne à cette porte, et signe la capitulation.'
Ah! la voilà donc arrivée cette poste, et toutes les lettres avec elle! comme je suis enchantée de les avoir! . . . . Non, tout l'esprit de Cirey ne m'empêche pas de trouver le tien charmant, et ton cŒur qui l'embellit le met encore au dessus de tous les autres. Vite on m'appelle pour lire Jeanne: au revoir; j'en ai besoin pour dissiper quelques nuages qui sont dans ma tête.
Cette pucelle me tracasse comme si j'étais un jeune homme, ce n'était pas pour la lire, et je reviens; mais comme on est prêt à souper je ne répondrai pas à tes lettres. Je n'ai pas manqué de t'écrire; je suis bien étonnée que tu aies manqué de lettres! . . . Ne manque pas de me mander si tu les a reçues en double. Il ne faut pas les adresser à Dubois, cela est plus sûr à moi. Tu as bien fait de m'envoyer la clef; je n'ai encore pu lire aucun des vers: à peine ai je eu le temps de lire les deux lettres de Ligny, qui sont arrivées bien cachetées, avec les deux que tu m'as adressées pour ici. Je ne comprends rien à ces retards; je crains plus pour les miennes que pour celles que je reçois, parce qu'il y a toujours du monde quand la poste arrive; mais comme la dame n'écrit que la nuit, on porte alors les lettres le soir dans son cabinet, elle est toute seule, elle fait le paquet elle même . . . . En tout cas, je ne puis que bien dire d'elle, car elle est admirable, et elle serait bien attrapée de nos riens. Elle n'écrit pas ce soir, ma lettre ne court donc aucun risque, ainsi si j'avais du mal à en dire, je le dirais.
Je remercie tous les jours Desmarets in petto de m'avoir si bien appris à connaître les hommes; cela me prévient contre la prévention, et fait que je les prends comme ils sont. O hommes! . . . . Je laisse tout passer, je ris du ridicule et n'en suis point blessée; je dis cela à propos de bien des petits traits d'auteur et de fantaisie de Voltaire, dont je ris en dedans. Je me sers de cette connaissance pour plaire à mes amis, pour t'écrire des bribes, parce que tu aimes les riens, et pour te recommander de ne point les montrer à Desmarets, parce qu'il ne les aime pas: je te l'ai déjà dit cent fois; tu me mandes encore que tu lui en as montré, si cela t'arrive désormais je te boude, et ne t'écris plus que six lignes à chaque ordinaire. Bonsoir; il faut finir. Mais non, j'ai encore quelque chose à te mander; nous jouons mercredi l'Enfant prodigueà cause du frère; cela n'empêche pas que l'on ne m'ait encore demandé tout à l'heure, — si Desmarets ne viendrait donc pas? Comme je crois que non, j'ai dit qu'il était toujours à son régiment, et qu'il n'y avait pas d'apparence qu'il pût venir. Enfeniou est l'intendant de la maison, il est gros comme m. de Lénoncour. Hier madame Duchâtelet demanda encore après Desmarets: sur ce que son frère la priait de chanter, elle dit qu'elle ne chanterait qu'avec lui; et elle ne chanta point. Et puis c'est 'Pourquoi donc ne vient il pas?' et puis de le louer, cela ne finit pas. Songe à nous mercredi et jeudi, car je crois que nous jouerons Boursouffle.
Ce dimanche [14 December] à sept heures du soir
Je profiterai de tous les moyens que j'aurai pour t'écrire, cher Panpan, pendant cette semaine; mais tu vas voir par la disposition de mon temps que les moments seront courts. Lundi, mardi répétition et les marionnettes; mercredi et jeudi comédie; mercredi l'Enfant prodigue et jeudi Boursouffle. Voilà du plaisir et de l'embarras.
J'ai passé ma matinée à lire tous les vers que tu m'as envoyés; tu ne dois pas en avoir de regret, puisqu'ils ne m'ont point coûté de port. Il s'en faut bien que je sois aussi contente de l'épître à ton père que des autres; je l'ai relue parce que tu parais l'aimer mieux: elle n'y a rien gagné. Je trouve ta réponse à Saint-Lambert bien plus jolie que la sienne, et celle de Paris m'enchante! Tu dois bien penser que j'ai les oreilles battues de bonnes choses, et surtout d'épîtres; je crois donc mieux sentir que jamais tout ce qu'elles valent. Crois moi, elle est charmante, ravissante; si tu appelles cela point de génie, que veux tu donc, cher favori des muses! La fin m'a fait pleurer, repleurer, et encore repleurer en la lisant, en la relisant, et en la copiant: et pourquoi la copier; dis tu? Pourquoi? pour la montrer! oui; outre que c'est la peinture de ton âme, c'est qu'elle est encore mieux versifiée que les autres. J'ai pris la liberté de changer les vers de l'abbé Desfontaines de cette façon:
Je te demande bien excuse mon bon ami, de barbouiller ainsi ton ouvrage; les vers ne sont pas bons, mais ce sont des louanges, et on les aime à toutes sauces, surtout quand on dit des injures à cet abbé. Tu sens bien qu'il fallait cela pour les montrer; car moi, qui lui dis que tu l'adores et que tu sais presque tous ses vers par cŒur, il serait assez étonnant que tu parlasses d'un faquin, de deux grands poètes et non de lui. Je n'ai pas été fâchée de supprimer les vers où tu parles de Newton et de la Tamise; ce n'est pas que je les entende, car on me pendrait pour dire ce qu'ils veulent dire; mais comme j'ai eu peur qu'ils ne fîssent quelque allusion à Voltaire, je les ai supprimés ainsi:
Voilà, en honneur, mon ami, à quoi j'ai passé ma journée depuis midi sonnant. J'ai été quatre heures à faire ces méchants vers; on n'a qu'à s'adresser à moi si on veut en avoir à tant la toise. On m'a envoyé appeler, je n'ai pas voulu descendre, parce que je veux les montrer ce soir et que je veux finir. Je ne sais pas encore un mot de mon rôle, j'en enrage; comment vais je faire? Il faut pourtant l'apprendre, heureusement qu'il n'est pas long, et cependant je veux t'écrire; mais, Panpichon, on ne court pas tant de lièvres à la fois! Je ne sais vraiment comment je m'en tirerai, car pour répondre à tes lettres, c'est une chose qui m'embarrasse et que je ne saurai faire; je crois d'ailleurs que tu ne t'en soucies guère, et que tu aimes mieux savoir les nouvelles d'ici. Fait ainsi qu'il est requis: Amen.
D'abord il me semble avoir vu quelque part que l'arrangement de vie d'ici ne vous paraît pas clair; le voici une fois pour toutes, car c'est un jour comme l'autre.
Entre dix heures et demie jusqu'à onze heures et demie, on envoie avertir tout le monde pour le café, on le prend dans la galerie de Voltaire; je t'ai mandé jour par jour ce qu'on y disait: cela dure jusqu'à midi, une heure, plus ou moins, selon qu'on s'est assemblé plus tôt ou plus tard. A midi sonnant, ce qu'on appelle ici les cochers vont dîner. Ces cochers sont le seigneur châtelain, la grosse dame et son fils, qui ne paraît jamais que pour copier des ouvrages. Nous restons une demi heure Voltaire, la dame et moi; il nous fait ensuite une grande révérence, et nous dit de nous en aller: chacun alors retourne dans sa chambre. Vers quatre heures quelquefois on goûte et on se rassemble; je n'y vais guère bien qu'on me fasse appeler: cela n'est pas toujours. A neuf heures on soupe, et l'on reste ensemble jusqu'à minuit. Dieu! quel souper! c'est toujours celui de Damoclès; tous les plaisirs s'y trouvent réunis: mais hélas! que le temps est court! . . . . ô mon dieu! rien n'y manque, pas même l'épée, qui est représentée par la rapidité du temps qui s'envole. Le seigneur châtelain se met à table, ne mange pas, dort, par conséquent ne dit mot, et sort avec le couvert. Etre beaucoup à soi, et avoir bonne compagnie après, voilà la vie que j'aime et qui n'est pas sans charmes. Le frère est très aimable, très gai et a beaucoup d'esprit: il part vendredi. Hier après souper, il y eut une scène charmante: Voltaire boudait à cause d'un verre de vin du Rhin que la dame l'empêcha de boire; il ne voulait plus lire Jeanne qu'il nous avait promise, il était dans la haute mauvaise humeur. Le frère et moi à force de plaisanteries, nous vînmes à bout de le faire revenir; la dame, qui boudait aussi, n'y put pas tenir, tout cela devint une scène de plaisanteries délicieuses qui dura longtemps, et qui finit par un chant de Jeanne qui ne valait pas mieux. Je ne l'ai plus trouvée si jolie, cependant j'ai ri à bien des endroits.
Ce matin, il nous a lu une épître sur la liberté, qui est très belle aussi: je crois que nous n'aurons rien ce soir; je ne sais si c'est humeur, mais on dit qu'il est malade. A propos de malade, je te dirai que je meurs de mal aux yeux; cependant je veux encore te dire la plaisanterie que la grosse dame et moi avons imaginée. Nous faisons faire par son fils un placard pour notre comédie, que l'on affichera demain à la porte de Voltaire et de la dame du château. Il est dans le style des placards de Paris: on y annonce l'ouverture du théâtre; une actrice qui débute dans le rôle de madame de Croupillac, et un acteur dans l'autre pièce qui est le fils de cette dame; il vient de me le faire voir, il est en grandes lettres rouges et bleues: j'y fais mettre au bas l'affiche que nous avons faite, sur l'air de la curiosité. Tu serais bien curieux de nous voir! pauvre ami! Que je te plains d'être absent d'un séjour si divertissant!
La petite demoiselle est arrivée ce soir; on l'a envoyée chercher pour jouer Marthe: j'ai été la voir un moment, elle est grande comme Minette était quand je l'ai mise au couvent. Elle n'est pas jolie, mais elle parle comme sa mère avec tout l'esprit possible: elle apprend le latin, elle aime à lire; elle ne démentira pas son sang. Elle a appris Marthe dans la chaise de poste, en venant de Joinville ici: il n'y a que quatre lieues.
Je me suis fort amusée ce matin au café: après l'épître lue on causait beaucoup de Paris; je faisais des questions sur toutes les personnes dont ma bégueule avait prôné le mérite; il s'est trouvé que c'étaient tous des sots et des ennuyeux. Je m'en doutais déjà, mais cela m'a divertie; enfin la dame m'a dit: 'Mais où prenez vous tous ces gens là? on les fuit eux et les maisons d'où ils approchent. Ah! je parie que c'est madame de Stainville qui vous en a parlé?' Sur cela le frère s'est mis à la contrefaire, c'était à mourir de rire. Voltaire nous interrompait toujours par des vers du Misanthrope; mais à la fin il nous a chassés. Il ne veut pas qu'on dise qu'un homme est ennuyeux, à moins qu'il n'ait critiqué ses ouvrages. Fantaisie d'auteur à part, cela est pourtant très beau. Oh! pour le coup je n'y vois plus! Panpan, prends pitié de ton amie! Il faut pourtant que je te dise encore que ce matin j'ai tant tournaillé la dame qu'elle s'est expliquée sur Saint-Lambert; elle veut bien qu'il vienne pourvu qu'il sache rester dans sa chambre, et mener la vie d'ici: je l'en ai bien assurée, ce qui fait maintenant qu'elle meurt d'envie qu'ils arrivent eux deux, Desmarets et lui. Elle n'aime pas les visites, loin de là, elle les craint. La solitude est ce qu'elle désire.
Le mot que ton père a dit a bien réveillé l'envie que j'aurais de t'y voir: je veux montrer tes vers d'abord, et veux ensuite que ce soit Voltaire qui arrange cela. J'ai déjà prévenu la grosse dame; sans faire semblant de rien, je la fis entrer hier dans ma chambre en remontant, parce qu'elle couche à côté de moi. Elle m'aime beaucoup; je lui parle de mes amis, et elle a du plaisir à m'écouter; cela fait que je la laisse entrer quelquefois dans ma chambre pendant le jour, mais guère, car je veux employer mon temps. J'ai fini Louis XIV hier; il est aussi impatientant de le laisser là qu'un roman qui n'est point achevé. Grâce à toi, je n'ai pas eu encore une pause d'aujourd'hui, et je ne sais même si je saurai finir; allons donc, bonsoir, mon ami. Ah! j'ai besoin de te dire que je t'aime!
A minuit
Quand je t'ai quitté tantôt, tu crois peut-être que c'était pour reposer mes yeux, point du tout: j'ai un acharnement après toi aujourd'hui qui m'a fait relire tes lettres, et marquer les endroits auxquels il y a des réponses à faire. Je les ferai quand je t'aurai dit que ton épître vient d'être lue par la belle dame, parceque Voltaire venait de lire un chant de Jeanne et qu'il était fatigué. Jusqu'au vers que j'ai ajouté, il n'avait loué qu'un endroit, mais rempli d'une surprise agréable, il a dit: 'Ah! je ne m'attendais pas à cela! ah! je veux lui envoyer le portrait de l'abbé Desfontaines'. (C'est une estampe maligne). Et tout de suite voilà qu'il se met à farfouiller dans ses papiers pour la trouver; mais comme il faisait du bruit, la dame l'a grondé pour se faire écouter; la lecture faite, il l'a louée, et a répété plusieurs vers, entr'autres celui des rubis liquides, que je crois qu'il trouve trop bon. Il a dit, pour toute critique, que tu allongeais trop tes pensées, que l'automne est masculin: que tes vers sont doux et liants; qu'il y a de l'imagination, et que cela est senti. La naissance de Vénus ne lui plaît pas trop, de même que les jeux et les ris qui sont trop répétés. Il a conclu par dire qu'il t'aimait de tout son cŒur, que je te dise mille choses tendres pour lui; mais avec tout cela, je crois qu'il aime encore mieux Desmarets que toi, car il ne cesse d'en parler. Je suis encore plus contente des louanges de la dame que des siennes, et plus encore de celles du frère, qui trouve ton épître charmante. Je voulais que Voltaire en dît davantage, je ne sais pourquoi il m'a déplu; tu peux en juger, car je te conte toutes ses paroles. La dame n'en a guère dit davantage; cependant il me semble qu'elle les a dites d'un meilleur ton, et je suis tentée de croire qu'il en est de cela comme des odes. Enfin tu auras une estampe de l'abbé; je ne sais ce que c'est: elle est dans le coffre-fort; je la verrai demain. Là, voyons tes lettres, car elles me poignardent.
Je ne sais ce que c'est que le duc de Caumont, tu as cru m'en avoir parlé; parle m'en donc, j'en amuserai la dame. Tes vers du chien pour Gourouski sont charmants; j'embrasse le chien: je ne devine point du tout pourquoi Sainte-Barbe est sa fête.
Tu me dis bien froidement que tu espères que mes meubles ne seront pas vendus; mais vraiment il ne le faut pas: je n'entends rien à tes petites restrictions de jésuite, cela me paraît du dernier misérable. Je ne manquerai pas d'écrire au professeur, car tu serais bien homme à me faire pieusement une sottise.
Tu trouves charmante la plaisanterie de Desmarets sur les lambeaux de ses ouvrages? ce n'est pas cela qui m'a divertie, mais la description de ta chambre: les fleurs que Minerve a tissues sont un peu ternes, ce me semble. Toute l'honorable compagnie de ce soir est persuadée que tu as au moins des Gobelins. A l'article des glaces, la dame s'est écriée: 'Ah dame! Panpan a des glaces!' Je mourais d'envie de leur en donner la mesure; les cristaux sur les buffets, ce n'est peut-être pas vrai, et la nourrice, mettant ton couvert sous le nom de la propreté, m'a fait éclater de rire en lisant. J'ai tenu mon quant à moi sur toutes les questions qu'on m'a faites. 'Il est donc riche?' 'Oui, on lui laisse la liberté de faire bonne chère, on prend peu garde aux frais.' 'Après le vin de Champagne, on conduit mal le compas'. 'Ils en ont en abondance, mais ils sont sobres.' 'Des piles de carreaux (car j'ai ôté les coussins qui n'appartiennent qu'au carrosse), c'est bien voluptueux!' 'Eh, hé! quand on en a beaucoup, autant vaut il s'en servir.' Au vrai, presque tout cela a été dit, il n'y a que les coussins dont on n'ait pas parlé. Elle n'a pas tort d'avoir relevé le compas après le repas, et surtout disant que le jour vous trouve encore à table, cela m'avait déjà choquée.
Ne t'inquiète pas de Lubert, tu le verras quand il sera triste. Tu sembles étonné de trouver de l'esprit dans tes lettres; elles en sont toutes farcies, mon Panpichon! elles sont charmantes; enfin je les trouve telles, qu'en veux tu dire? Je ne me sens pas d'aise de la mine de ton père; je souhaite d'être bon prophète, jusqu'au bout . . . . Le déshabillé à la romaine est fort bon; c'est un sac à bonnes plaisanteries que ce Desmarets; mais en vérité, il n'y a rien qui ressemble moins à tous les ridicules qu'on lui donne, que les cheveux retroussés; car, du reste, elle est plus négligée que moi, c'est beaucoup dire, et plus mal tenue; mais depuis que son frère est ici, qu'elle ne travaille plus tant, elle s'ajuste un peu mieux.
L'histoire du chancelier me paraît bien forte de part et d'autre. Oh! pour le coup, si j'avais eu de l'eau dans la bouche, je l'aurais lancée sur vous jusqu'à Lunéville.
Oui, je t'ai donné mon Newton, et je te le redonne.
Ah! mon dieu, non, je ne songe plus à la petite comédie du monde; vrai, mes idées sont trop rompues; et avec la liberté que j'ai d'être dans ma chambre, je n'ai le temps de rien: il faut que je rende compte tous les jours de ce que j'ai lu, et que je retourne mes louanges en cent façons; et puis ne faut-il pas que je t'écrive? cela boit et mange tout mon temps.
La centurie n'est, je crois, pas trop bonne; je ne les entends ni ne m'y connais. Les deux épigrammes sont très bonnes et très vraies, et très bien faites; grand merci, mon petit saint; car c'est de vous sûrement, j'en suis sûre: je connais votre point. Je vous écrirai, mon petit ange, quand quelque chose que je sais bien sera arrivé; en attendant vous voyez bien que ce n'est pas pour le crasseux tout seul que j'écris tant de bavardages. Que je vous dise dans ses lettres que je vous aime de tout mon cŒur, ou sous votre adresse, il n'en est ni plus ni moins vrai; ainsi soyez encore un peu indulgent jusqu'à ce que je sache quelque chose que je veux savoir, si mieux n'aimez venir ici, où on vous désire fort et vite. Ah ma foi! bonsoir, mon Panpichon, je n'en puis plus, mais cela me pesait; je n'en recevrai plus quatre à la fois, et me voilà au courant. Chantez, chantez, petits oiseaux, vous voilà dégagés des serres de l'oiseleur. Chantez!
Ce lundi [15 December] après souper
Ajoute à ta clef, Nicomède pour Voltaire, et Dorothée pour sa bergère, car je crains pour ici, et moyennant cela je vous dirai bien des choses que je ne peux vous dire sans cet expédient.
Nous ne jouons plus la comédie, parce que le frère craint qu'on n'en cause dans le monde; comme il part vendredi, nous pourrions bien la jouer ce jour là même. Sur ce, bonsoir. A propos de bonsoir, je vais me coucher. Encore un mot, si par hasard Adhémard venait, je veux absolument que tu m'envoies la robe que j'ai demandée, je n'ai que faire des formalités pitoyables que tu m'allégueras; tu as la clef, il n'y a qu'à la donner au professeur qui ira la prendre, et cette robe de moins, le marchand de vin n'en sera pas moins payé. Il faut avouer que tu as des misères dans l'esprit à n'y pas tenir; ce n'est assurément rien faire contre l'honneur; enfin, je veux que cela soit, et ne me raisonne pas. Je parie que gros chien blanc est de mon avis? si cela ôtait la valeur du prix que je dois, cela serait bon; mais cela n'étant pas, c'est une pitié à faire vomir. Tu ne croirais pas, mon cher ami, que les vapeurs puissent venir me trouver dans ce palais enchanté? Eh bien! rien n'est plus vrai; j'en ai été accablée. J'avais commencé à lire cette dissertation sur le feu de madame du Châtelet, dont m. du Châtelet nous parla à Lunéville; c'est d'une netteté, d'une précision et d'un raisonnement admirable; j'en demande bien pardon à m. de Voltaire, mais c'est bien au dessus de lui: j'avais donc commencé cette lecture ayant déjà des vapeurs, mais malgré le plaisir que j'avais, celles ont tellement augmenté qu'il a fallu que je me jettasse sur mon lit, où, malgré la potion à l'opium (de Mithridate), j'ai été plus de trois heures sans qu'elles se passent; ensuite je suis allée dans l'appartement des bains, où Voltaire a lu les deux chants de sa Jeanne, qui ont achevé de dissiper mon mal. Il aurait fallu qu'elles fussent bien tenaces pour y tenir, et surtout au souper dont je sors. On a fait du punch; tu te lèches les doigts! je vais t'en verser. Madame du Châtelet a chanté de sa voix divine: on a beaucoup ri sans savoir pourquoi, on a chanté des canons; enfin le souper a été à peu près comme ceux que nous avons tant faits ensemble, où la gaîté ne sait ce qu'elle dit, ni ce qu'elle fait, et rit sur la pointe d'une aiguille: malgré cela je ne suis pas encore tout à fait bien, je ne sais d'où viennent ces vapeurs, car ce n'est sûrement pas de la tête? Ah! mon ami, pourquoi sommes nous nés sensibles? Pourquoi? . . .
J'ai reçu ta lettre samedi, où je crois n'avoir rien à répondre, parce qu'il n'y a que de l'amitié, et assurément la réponse est toujours faite, puisque tu ne saurais m'aimer plus que je ne t'aime; elle m'a cependant fait le même plaisir que les autres. Le retour du domestique qui a été à Lunéville ne m'en a pas tant fait, parce que tu ne lui as rien donné pour moi: j'attendais son retour avec une impatience extrême, et j'ai vu à ta lettre que je n'aurais rien. Tu me mandes que l'on t'a apporté un paquet, et tu ne me parles point de la bouteille que je t'ai demandée; pourquoi cette négligence? Tu vas me donner de fausses excuses et j'y vais répondre d'avance. Tu diras: on ne m'a pas dit qui avait apporté cela, et je n'ai revu personne; mais il me semble que j'avais pris la précaution de te mander que je t'envoyais un paquet par un domestique qui me rapporterait la bouteille; il fallait donc faire en sorte qu'on lui dît quand il viendrait chez vous, qu'il ne manquât pas de te venir parler; d'ailleurs ne t'ai je pas dit que c'était Mathias le marchand que ce domestique reconduisait à Lunéville? il fallait donc envoyer chez lui savoir si cet homme restait un an à Lunéville, ou s'il partait le lendemain. Enfin, j'ai le plaisir de voir que j'ai toujours plus d'attentions pour mes amis qu'ils n'en ont pour moi, mais cela ne guérit pas ma bouche. Je suis un peu fâchée, je te l'avoue, parce que c'est une chose irréparable. Voyons si tu feras mieux cette commission; je te prie de porter toi même cette lettre à m. Charmiou, mon avocat, et de la lui faire lire devant toi pour le mettre bien au fait de l'affaire que tu connais mieux que moi, mais que je lui détaille cependant de mon mieux. Si tu ne me fais celle ci, va-t-en au diable.