ce 13 novembre 1738
Mon cher Mersenne je reçois votre paquet du [ ] et vous avez dû recevoir mes lettres pour mr de Burigni et pour mr le Franc, pour l'abbé Dubos.
J'ay donc par inadvertence dattée celle qui est pour Mr de Montmartel. Si vous voyez Latour à votre retour, et si vous vous assurez de son témoignage, si enfin vous croyez que ma lettre à Mr de Montmartel produise un bon effet, j'en feray usage.
Celle pour mr l'abbé Trublet aura beoin d'être présentée par vous même, afin que les agrémens de votre conversation adoucissent l'amertume de mes plaintes.
Vous me voyez mon cher amy dans un point de vue, et moy je me regarde dans un autre. Vous vous imaginez à table avec madame de la Popliniere et mr Desalleurs, que les Calomnies de Roussau ne me font point de tort parce qu'elles ne gâtent point votre vin de champagne. Mais moy qui sais qu'il a employé pendant dix ans la plume de Rousset et de Varenne à Amsterdam, pour me noircir dans toute l'Europe, moy qui par l'indignation du prince royal même contre tant de traits, reconnois très bien que ces traits portent coup, j'en pense tout différement. Je ne sçai pourquoy vous me citez l'exemple des grands auteurs du siècle de Louis 14, qui ont eu des ennemis. En premier lieu ils ont confondu ces ennemis autant qu'ils l'ont pu, en second lieu ils ont eu des protections qui me manquent et enfin ils avoient un mérite supérieur qui pouvoit les consoler. Ce qui m'est arrivé à la fin de 1736 doit me faire tenir sur mes gardes. Je scai très bien que les journaux peuvent faire de très mauvaises impressions. Je sçai qu'un homme qu'on outrage impunément est avili, et je ne veux acoutumer personne à parler de moy d'une manière qui ne me convienne pas. Ma sensibilité doit vous plaire, un amy s'intéresse à la réputation de son amy, comme à la sienne propre.
Je vois que vous vous y intéressez efficacement puisque vous m'envoyez des critiques sur les épîtres. Je vous en remercie de tout mon cœur. Soyez sûr que j'en profiteray. Continuez, mais songez que ce frapant et ce vif que vous cherchez, cesse d'être tel quand il revient trop souvent. Non fumum ex fulgore sed ex fumo dare lucem cogitat. Je ne suis pas de votre avis en tout. La censure de la boete de Pandore me paroit très injuste. Je prétends prouver que si tous les hommes étoient également heureux dans l'âge d'or, ils ont actuellement une égale portion de biens et de maux, et qu'ainsi l'égalité subsiste toujours. Au reste qu'un hémistiche ou deux déplaisent cela rend il une pièce entière insuportable? Vous me reprochiez d'imiter Despreaux, et àprésent vous voulez que je luy ressemble. Trouvez vous donc dans ses épitres tant de vivacité, et tant de traits? Il me semble que leur grand mérite est d'être naturelles, correctes et raisonables, mais de la sublimité, des grâces, du sentiment, esce là qu'il les faut chercher?
Vous ne voulez pas que la femme d'un commis soit dans le fonds d'un bureau, soit. Vous proscrivez la barque des rois, cependant il ne s'agit icy que de la barque légère, de la barque du bonheur, de la petite barque, que chaque individu gouverne, roy ou garçon de caffé. Mais comme le vulgaire ne veut voir un roy que dans un vaissau de cent pièces de canon, et qu'il faut s'acomoder aux idées reçues je sacrifie la barque.
J'ôte le Bernard, et le bien qu'il fait, et le bien qu'il a. Ce mot de bien pris en deux sens différens, est peutêtre un jeu de mots. Qu'en pensez vous?
Heureux et felicité trop près, et trop répétez seront corrigez.
Fertilisant la terre en déchirant son sein, est ne vous déplaise un très bon vers.
J'aime Perette — c'est dans son ennuy précisément et seulement dans son ennuy, qu'on souhaite le dessin d'autruy, car quand on se sent bien, ce n'est pas là le moment où l'on souhaite autre chose.
Je n'aime pas plus que vous souhaiter la place. Il faut un terme plus noble.
Et seule égalité que vous reprenez, me paroit un mot essentiel, car nous ne sommes pas égaux par nos places, mais par le bonheur où chacun peut espérer dans des places différentes.
Voicy des vers nouvaux qui me viennent.
J'aime mieux ces vers que les barques des rois etc.
Je donne des coups de pinceau à mesure que je vois des taches, mais aidez moy à les remarquer, car la multiplicité de mes occupations, et le maudit amour propre font voir bien trouble. En voicy encor d'autres corrections:
Ils se trompoient tout deux jamais dans notre[. . .]
Voicy une lettre pr Formont.
Vale, te amo.