à Ferney 17e Mars 1771
A la réception, Monsieur, de vôtre Lettre du 8 Mars je me fis porter sur le champ chez Made Racle tout malade que j’étais.
Made Denis m’accompagna. Mr Bertelot montra ses Lettres écrites à Monsieur De Bourcet; il n’y en a qu’une du 9 Janvier dans laquelle on trouve ces mots, L’histoire des quinze Louis de Moret fait toujours beaucoup de bruit. Mais assurément il n’est dit ni dans cette Lettre ni dans aucune autre, que nous aions jamais parlé de cette misère absurde. Il est très vrai que sur les plaintes de made Racle qui craignait d’être ruinée, je lui conseillai de se mettre entièrement sous la protection de Mr De Bourcet, de lui exposer tous ses griefs, et de solliciter ses paiements. Je lui dis que s’il le fallait, si ce n’était pas Monsieur De Bourcet seul qu’on devait implorer, je prendrais la liberté d’écrire moi même au ministre en faveur du sr Racle; mais que j’espérais que Mr De Bourcet aurait le pouvoir de lui faire rendre justice. Le sr Bertelot n’a pas trop éxactement raporté mon discours, mais il n’importe; celà n’a rien de commun avec les gens de Moret, dont nous n’avons jamais entendu parler made Denis ni moi.
Je ne me suis mêlé des affaires de Versoy que pour racheter la barque qu’on appelle icy la barque de France, laquelle était saisie en Savoye, et que les genevois voulaient acheter à vil prix. Celà m’a paru avilissant, et je n’ai pu le souffrir.
On vient de saisir encor la forêt de Racle; je ne suis pas assez riche pour la paier. Je vois avec douleur la ruine d’une belle entreprise, et je ne puis l’empêcher.
J’envoie copie de ma Lettre à Monsieur De Bourcet que je crois affligé justement de tous ces malheurs arrivés coup sur coup, et je suis si affligé moi même que je ne puis vous écrire sur aucun autre objet. Mon attachement pour vous est égal au chagrin que tout celà doit me causer.
J’ai l’honneur d’être avec les sentiments les plus respectueux, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire