1er Mars 1771, à Ferney
Je profite, Monsieur, d’un moment de relâche que me donent mes maux, pour répondre à vôtre Lettre.
Je ne puis vous dire que ce que Made Denis vous a dit. Vous m’avez bien étonné et bien affligé. Soiez bien sûr que ni elle, ni moi, n’avons jamais entendu dire un mot des choses dont vous nous parlez. Soiez sûr comme de vôtre éxistence que made Denis n’a jamais écrit une ligne à aucun homme en place sur vôtre compte. Elle écrivit il y a quelque tems à Mr de Bourcet qui lui avait mandé qu’il viendrait dans un mois à Ferney avec Made sa femme. Demandez à voir sa lettre, vous verrez s’il y était question de vous. Elle lui a envoié avant hier la lettre dans laquelle vous l’accusiez d’un si étrange procédé; elle a cru se devoir cette justification pleine et entière.
Pour moi, Monsieur, qui suis dans mon lit, attaqué de la goute et aveugle, il n’y a pas d’aparence que je puisse être mêlé dans ces étonnantes tracasseries. Je n’ai jamais écrit sur vôtre compte à aucun homme en place qu’à Mr Le Duc De Choiseul quand je le conjurai de vous donner le commandement de Versoy. Je n’ai vu qui que ce soit au monde depuis plus d’un mois. Je ne sçais que par vous seul les choses dont vous vous plaignez. L’affaire des gens de Moret que vous m’aprenez est absurde. Il n’est pas possible qu’ils aient demandé que le grand chemin ne passât pas par leur bourg; c’est aucontraire leur plus grand intérêt que ce chemin y passe. Les quinze Louïs dont vous me parlez sont d’un ridicule dont rien n’aproche. Une communauté ne va point offrir quinze Louis pour être hors de la grande route. Vous sentez combien un tel conte est méprisable, et vous sentez aussi à quel point nous avons dû être surpris made Denis et moi de nous trouver mêlés dans ces tracasseries de village qui ne méritaient pas de vous la moindre attention. Made Denis ne peut revenir de l’effet que lui a fait vôtre Lettre.
J’ai l’honneur d’être avec les mêmes sentiments dont j’ai toujours été pénétré pour vous, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
Je présente mes respects à Madame De Caire.