1738-06-14, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Il y a bien longtemps que je n'ai eu de vos nouvelles, mon cher ami; je ne m'en plains point, mais je m'en aperçois avec douleur.
Pensez vous toujours à ce triste voyage? Je n'ose quasi vous en parler. Ne peut on espérer de vous aller voir en chemin? car je ne quitte point ce projet de vue.

Le petit la Marre, qui est un petit fou, s'est avisé d'envoyer à votre ami une mauvaise épître en vers qu'on a faite contre lui. Heureusement que la lettre était sous enveloppe:je l'ai prudemment brûlée. Vous savez les chagrins que toutes ces tracasseries lui donnent, et je veux, si je puis, les lui éviter. Je ne veux pas écrire à une espèce comme la Marre: je vous prie donc de lui défendre d'envoyer jamais de ces pauvretés là à Cirey; et, de peur qu'il ne se doute que je vous en ai parlé, et qu'il ne m'en fasse une tracasserie en le mandant à votre ami, commencez par le lui faire avouer; vous me rendrez un vrai service, car cela met des nuages inutiles dans nos beaux jours. Adieu, mon aimable ami. Ménagez moi les bontés de mme d'Argental, et conservez moi une amitié qui me devient tous les jours plus chère.

Mille choses à m. votre frère. Je me flatte bien qu'on ne parle plus du petit monstre blanc. Votre ami ignore cette lettre; ainsi je ne vous dis rien de sa part.