1765-01-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, d'abord comment se porte made D'Argental?
Ensuite, comment êtes vous avec le tyran du tripot? J'ai bien peur, par tout ce qu'il m'écrit, quil ne soit très fâché contre vous; c'est une de ses grandes injustices, car je l'ai bien assure que vous n'aviez, ni ne pouviez avoir aucune part à la distribution des dignités comiques; et il doit savoir que c'est en conséquence de sa permission expresse datée du dix sept septembre 1764 que je disposais des rôles. Son grand chagrin, son grand cheval de bataille, est, que les provisions par moi données au tripot, ont passé par vos aimables mains. En ce cas, vous auriez donc été trahi, les tripotiers vous auraient compromis. Voilà une grande tracasserie pour un mince sujet. Cela ressemble à la guerre des Anglais qui commença pour quatre arpents de neige, mais je m'en remets à votre prudence.

Je vous avoue que je suis un peu dégoûté de tous les tripots possibles. Je vois évidemment que celui de Cinna et d'Andromaque est tombé pour longtemps. Quand une nation a eu un certain nombre de bons ouvrages, tout ce qu'on lui donne au delà, fait l'effet d'un second service qu'on présente à des convives rassasiés. Je vous le répète, l'opéra comique fera tout tomber. Une musique agréable, de jolies danses, des scènes comiques et beaucoup d'ordures forment un spectacle si convenable à la nation, que le petit carême de Massillon ne tiendrait pas contre lui. Je crois fermement, qu'il faut que les comédiens ordinaires du roi aillent jouer dans les provinces trois ou quatre ans. S'ils restent à Paris ils seront ruinés.

J'ai eu par contre-coup ma petite dose de tracasserie au sujet de ce fou de Jean Jaques. Sa conduite est inouïe. St Paul n'en usa pas plus mal avec st Pierre en annonçant le même évangile. Je vois qu'on a très bien fait de supposer que la trinité ne compose qu'un seul dieu, car si elle en avait trois, ils se seraient coupés la gorge pour quelques querelles de bibus.

A l'ombre de vos ailes.

V.

Vous avez dû recevoir deux lettres de moi sous l'enveloppe de m. le duc de Praslin.

Mes divins anges, miséricorde! mes dîmes! mes dîmes!