1738-04-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bonaventure Moussinot.

Je reçois mon cher amy votre lettre du 26.
Je ne pouvois deviner que Mr le caissier n'exigeoit point vingt pistoles, quand vous me mandiez il faut luy donner vingt pistoles. Cet il faut n'avoit il pas l'air d'un droit exigé? et ce demi pour cent, ne ressembloit il pas au demy pour cent, exigé par les notaires? Toute la différence étoit que les notaires reçoivent cette rétribution de ceux qui empruntent, et qu'on paraissoit l'exiger de moy qui prêtoit.

Un caissier auroit sans doute très mauvaise grâce d'oser exiger de ceux qui prêteroient à son maître, et si j'étois receveur général et que mon caissier fît cette manœuvre, il ne la feroit pas long temps. Cependant comme toutte peine mérite salaire j'ay toujours eu intention que l'on fit un présent à ce quaissier, uniquement pour sa peine de compter l'argent, et qu'on luy fît ce présent à la clôture des comptes de son maître, avec moy. Une tabatière, un joli portefeuille, en un mot un présent de trois ou quatre louis est ce que je luy destinois, et ce que je crois convenable pour luy et pour moy quand nous finirons. Mais nous ne sommes pas sitôt prêts de finir, puisque voylà un employ de 20000lt de capital, de rente viagère, et outre cela environ 20000 qui resteront dans la caisse du sr Michel à 5 pour cent. Tout ce que je demande àpropos de ce fonds restant dans sa caisse c'est que Mr Michel donne sa parole que s'il arrivoit une affaire urgente il me rendroit ces 20000lt avant l'échéance des six mois. Il me fera grand plaisir, car il faut savoir toujours où prendre de l'argent.

Ce que nous aurons de reste servira à acheter des actions et à payer quelques dettes.

Il m'est indiférent que ce soit le sr Paquier ou le sr Michel qui ait mon argent pourvu que je puisse le toucher à volonté. Si Michel ne vouloit point de cette clause qu'il prenne mon argent à 5 pour 100, de 3 mois en 3 mois et tout se trouvera arrangé.

Mr votre frère est prié d'écrire encor une lettre bien polie à Mr Tanevot.

Je Vous réitère et à luy ma prière de dire à mr d'Auneuil que je m'en suis toujours raporté à luy. Vous pouvez et vous devez même l'instruire de la conduite plus que suspecte de Dumoulin.

Mr Destaing payera donc. Il faudra seulement à la fin d'avrir faire souvenir mr de Richelieu de moy. Nous en parlerons alors.

Voicy un petit mémoire de glaces dont nous avons besoin à Cirey. Si vous pouvez donner ordre à un de vos marchands de nous avoir cela de la manufacture, et de nous l'envoyer bien mis au teint, bien conditioné, vous nous obligerez baucoup.

Ne pouroit on point avoir de petits ballets de secrétaire, dans le goust de ces baux balets de plumes que vous m'avez envoyéz?

Je vous envoye un billet du sr Medine. Vous pourez mon cher amy compter 300 florins de Flandres au sr Darius en cas qu'il endosse le billet. Je vous prie au préalable de vous informer sr ce Darius est bon. Paquier vous dira cela. Vous me ferez plaisir en exigeant cette cérémonie du sr Darius de luy dire que je suis très aise de faire plaisir à mr Medine mais que vous ne pouvez vous dessaisir d'aucun argent sans billet solvable attendu que c'est un argent de famille. Cela tranche net, et prévient toutte plainte.

Je réitère à mr votre frère l'instante prière que je luy ay déjà faitte de me mander de qui il tient L'almanac du diable, et les poésies du sr Ferrand. Je ne le commettray point, et il doit se rendre à l'intérest que j'ay de savoir ce dont il s'agit.

Je vous embrasse tendrement.

V.

Je vous prie de ne point égarer le billet de Medina et surtout de ne rien donner sans un bon billet de Darius.

Je prie instament mr votre frère de vouloir bien passer dans la rue de la Harpe et de s'informer s'il n'y a pas un cordonier nommé Roussau, parent du scélérat Roussau qui est à Bruxelles.

Vale.