1740-08-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bonaventure Moussinot.

Depuis ma lettre écritte, par la quelle je vous prie mon cher amy d'aller trouver monsieur de Nicolaï, j'ay fait réflexion que vous feriez bien dans votre audience de luy montrer cette lettre, qui ne doit pas luy déplaire.
Ce sera la meilleure manière d'entrer en conversation.

Ne faudroit il pas faire opposition aussi entre les mains de M. Bergeret?

A L'égard de mr d'Estain, je n'ay pas encor le nom du procureur au quel il faut s'adresser à Clermont, mais je l'auray bientôt. Je vous remercie de l'avis que vous me donnez touchant les lettres d'état. Je suppose que le marquis d'Estaing a renoncé par son contract au bénéfice des lettres d'état.

Comme j'auray bientôt besoin d'un fonds considérable je vous réitère mes remerciments des poursuites que vous faites faire.

Je vous prie de ne point répandre dans le monde que j'avois une rente viagère sur Michel; il suffit de dire que j'avois de l'argent placé sur luy. Il n'y a que M. de Nicolaï au quel il faille confier la chose.

Il sera très à propos que Mr votre frère écrive à Mr d'Auneuil, qu'attendu la banqueroute du sr Michel dans la quelle je me trouve enveloppé et ayant perdu les hippotèques que Mr d'Auneuil m'avoit données, il est dans l'absolue nécessité de presser le payement que me doit M. d'Auneuil.

Outre cette lettre de Mr votre frère, je serois d'avis que vous luy en écrivissiez une autre par la quelle vous luy diriez qu'ayant bien voulu avoir l'œil sur mes affaires, dont M. votre frère est chargé, et sachant que j'ay eu le malheur d'essuier plusieurs banqueroutes, vous le priez de me donner une autre délégation. Au reste s'il ne le fait pas, on poura l'y contraindre, car c'est se moquer que de donner en délégation les mêmes rentes et les mêmes maisons à deux personnes et c'est en bon français un stellionat.

Je vous prie d'envoyer aussi à la direction des affaires de Mr de Goesbriant, dont nous n'avons aucune nouvelle.

Je vous prie de garder un profond secret sur ce que vous avez à moy et sur mes affaires. Je ne sçai ce que c'est que ces bijoux que mad. du Chastellet vous a envoyés. Elle m'en a fait mistère, mandez moy ce que c'est.

Son estampe doit être pour un in octavo, ainsi il ne la faut guères plus grande que la mienne.

Je songe que vous pouriez encore très bien, montrer à M. le p. de Nicolai, mon autre lettre où je fais le mauvais plaisant sur la banqueroute de Michel. Cela mettroit M. de Nicolai de bonne humeur. Vous êtes le maître de tout.

Je vous embrasse bien tendrement. Bonsoir.