1740-07-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bonaventure Moussinot.

Mon cher abbé je reçois votre lettre du 9, par la quelle vous me mandez la banqueroutte générale de ce receveur général nommé Michel.
Il m'emporte donc une assez bonne partie de mon bien. Dominus dedit dominus abstulit sit nomen domini benedictum. Je n'ay pas l'honneur d'être trop bon crétien, mais je suis assez résigné.

Souffrir mes maux en patience
Depuis quarante ans est mon lot,
Et l'on peut sans être dévot
Se soumettre à la providence.

J'avoue que je ne m'attendois pas à cette banqueroute, et que je ne conçois pas comment un receveur général des finances de sa majesté très crétienne, homme fort riche, a pu tomber si lourdement, à moins qu'il n'ait voulu être encor plus riche. En ce cas, Mr Michel a double tort. Je m'écrierois volontiers:

Michel au nom de L'Eternel
Mit jadis le diable en déroute,
Mais après cette banqueroute
Que Le diable emporte Michel.

Mais ce seroit une mauvaise plaisanterie et je ne veux me moquer ny des pertes de Mr Michel, ny de la mienne.

Cependant mon cher abbé vous verrez que L'évènement sera que les enfants de M. Michel resteront fort riches, fort bien établis; le conseiller au grand conseil me jugera, si j'ay un procez devant L'auguste tribunal dont on est membre à baux deniers comptans; son frère l'intendant des menus plaisirs du roi, empêchera s'il veut qu'on ne joue mes pièces à Versailles; et moy, moitié philosophe et moitié poète, j'en seray pour mon argent; je ne jugeray personne et n'auray point de charge à la cour.

Vous savez qu'abissus abissum invocat; il faut absolument que M. de Brisay donne quelques petites sûretez. Je vous suplie de faire sur cela toutes les diligences nécessaires.

Ayez la bonté de faire écrire mr votre frère à tous mes débiteurs, et nommément à mr d'Auneuil; qu'il marque à mr d'Auneuil que la banqueroute de Michel le met hors d'état d'attendre.

Je vous enverray incessamment le nom du procureur au quel il faudra s'adresser en Auvergne. Mr Bégon luy enverra, port payé, les papiers nécessaires.

Ayez la bonté de parler au caissier de Michel, tâchez qu'il vous aprenne au moins la manière dont nous pourions nous y prendre pour ne pas tout perdre. Peutêtre Mr de Nicolai pouroit nous faire retrouver quelque chose.

Je voudrois aussi savoir le nom que pre[nd . . .] la cour cet intendant des menus, qui aura sans doute quitté celuy de Michel, pour le nom de quelque belle terre.

Il faudra aussi faire, je croi, opposition au scellé, si cela se pratique, et si cela est utile; en un mot donnez moy mon cher ami tous les éclaircissements possibles.

Je me réfère aux lettres que je vous ay écrites par le sr Brion. Bon soir, je vous embrasse du meilleur de mon âme. Consolez vous de la déroute de Michel, votre amitié me console de ma perte.