Cirey ni moi ne sommes guères digne, Monsieur, de la bonté que v͞s auez de p͞r chanter.
Cirey a perdu toutes ses grâces, il n'i a plus que des montagnes, et moi toute mon imagination. Votre ami nous a quittés p͞r le p. royal de Prusse. V͞s jugés bien que ie n'i ay consenti qu'auec peine, sa santé, la saison, le climat, tout paroissoit s'y oposer, mais ce qu'il a cru deuoir aux bontés singulières dont le p. royal de Prusse l'honore a été le plus fort, et il est parti. I'en suis très en peine. On reçoit rarement des nouuelles de ce maudit payis là, et ie ne seray tranquille que quand il sera de retour à Cirey. Il m'a fait espérer en partant qu'il y reuiendroit. Ie lui ay enuoié la lettre que v͞s m'aués escrite, ainsi elle court les chams aprés lui. Dans vn autre tems ie v͞s dirois mil choses sur cette jolie lettre. I'eusse prié en vn tems plus heureux, votre ami de v͞s répondre en votre langue, mais ie ne puis àprésent que m'affliger de son absence. Ie suis bien sûre que v͞s le serés de son départ. Soyés certain monsieur qu'en quelque situation que ie sois ie seray toujours très flattée des marques de votre amitié.
Retranchés les complimens, ie v͞s suplie. Où est mr de Formont àprésent? Ie le soupçone à Paris. Il n'a point répondu à ma dernière lettre, qui cependant méritoit bien vne response. Se seroit il déjà laissé emporter au torrent qui fait qu’à Paris on oublie les absens? Si v͞s le voyés dites lui combien ie suis à plaindre de ne plus partager ma solitude auec votre amy.
Breteüil Duchastellet
à Cirey ce 10e januier 1737
Le p. royal de Prusse auoit Enuoyé son portrait à mr de Voltaire, quelque tems auant son départ.