1736-08-15, de Pierre François Guyot Desfontaines à Jean Baptiste Rousseau.

J'ai Reçu, Monsieur, vos trois Epitres qu'on m'a remises de votre part, et le tome de la Bibliothèque france où est votre lettre au sujet, des procédez de V. Le Public a été très satisfait de l'extrait que j'ay donné, des Epitres, et J'attribue ce succez à l'approbation générale qu'elles ont eüe, et à l'inclination que tout le monde a ici pour vous.
Car je puis dire sans vouloir vous flatter, que vous y êtes trés aimé; ce qui vient non seulement, de l'estime qu'on fait de vos ouvrages, et de votre stile doux, sage et modéré, mais encore, de vos adversitéz supportées avec courage et dignité. Vous avez un amy sincère et très ardent, dans le P. Tournemine, qui dernièrement, dans un entretien que nous eûmes ensemble à votre sujet, ne put s'empécher de verser quelques larmes, sur l'oppression où vous êtes depuis tant d'années.

Votre Epitre à Mr Rollin le charme, ainsi que tous les gens de bien. Permettéz moy de vous prier de me marquer sy l'arrêt injuste, qui vous a autrefois condamné, est contradictoire; ou par contumace. Il me semble qu'aujourd'hui que tout le monde s'entretient de vous, et qu'il y a tant de gens qui prennent votre party et vous soutiennent mal Condamné, il seroit àpropos de faire paroître quelque chose, comme venant de la part d'un amy. La plus part, ne sçavent que par tradition et par oui dire ce qui vous Concerne. Votre lettre, au sujet, de V. est, charmante, sur tout Le morceau de son portrait supposé. On dit, qu'il a fait une réplique, que je n'ay pas vüe, non plus que son ode de L'Ingratitude, qui passe pour très mauvaise. Mr Boindin qui l'a vue, me dit hier à la Comédie, que c'est une pièce misérable. Il est, retourné à Ciré. J'ai fait mettre hier à votre adresse au Carosse de Bruxelles les cinq volumes complets des Observations. Sy j'ai tant différé, la réimpression des 3 premiers volumes en est Cause. Je voudrois bien que vous eussiez aussy les 3 vols du Nouvelliste du parnasse. Mais il n'y en a plus, et on songe à le réimprimer. Dans ces petits Ecrits il est souvent parlé de vous, monsieur, et dans un tems où je n'avois pas encore commerce avec vous. Vous jugerez par là Combien je vous ai toujours estimé. Dans le Nouvelliste de Parnasse je vous venge hautement de Lenglet, en parlant de son Marot.

Dans votre lettre Imprimée vous vous êtes trompé en disant que V. a substitué Coligni à Rosny dans son poème. C'est Mornay. Je m'imagine que vous avez fait exprès cette erreur, pour engager V. s'il réplique, à débiter bien des Impertinences à se sujet. Mais ma Conjecture est foible. On Joüa hier Pharamond, tragédie nouvelle, attribuée à mr Lefranc, qui s'en défend. Elle est Bien écrite et semée de vers Cornéliens, mais elle a beaucoup de défauts, et le fond est Bien médiocre. Le stile l'a fait applaudir. Votre épitre a mis au désespoir notre métaphysicien comique. Je vous prie mr. de vouloir bien que nôtre Comerce continue. Je chercheray dorénavant des ocasions pour vous faire tenir mes Observations et le Nouvelliste du P. lors qu'il sera rimprimé. Soyez persuadé, je vous prie, de l'attachement très sincère avec lequel je seray toujours Mr votre très humble et très obéissant serviteur.

L'abbé Desfontaines

Il me semble que vous avez trop loué la dernière ode de mr. Racine; la première valoit beaucoup mieux, tout ce qu'il dit dans cette ode se raporte, aux Images poétiques, confondues mal àpropos avec l'Harmonie. Il auroit pu faire une ode de dix mille strophes sur ce vaste sujet. Permettéz moi de vous prier d'être un peu plus réservé sur l'éloge. Vous avez aussy trop loüé les vers de mr Gresset, bien que dignes de louange. Je vous parle Comme votre ami; excusez ma sincérité. Je n'ay encore vu personne qui ait pu goûter l'ode de l'harmonie. J'ai quelquefois loué et blâmé mal-à propos; mais J'ai toujours été plus fâché et plus honteux de la louange que de la critique. Il faut que l'une des deux erreurs intéresse davantage l'amour propre. Mr Hardion auroit pu se passer en vérité de faire Imprimer vos Lettres, quoique belles et bien écrites. Encore une fois pardonnez ma sincérité. Dureste je respecte mr Racine, comme un Prince du sang. Je crois que vous serez content de la façon, dont, sans me compromettre, et sans le blesser, Je parlerai Incessammt de L'ode de L'harmonie. Je me sauverai à la faveur de la dernière strophe.

Comptez Monsieur, sur ma discrétion par raport à votre dernière Lettre; je suis très sensible à la confiance que vous avez en moi, et je tâcherai de la mériter de plus en plus. Continuez je vous prie de m'honorer de vos Lettres.

J'ay été obligé de me servir de mon Ecrivain pour le commencement de ma Lettre qui comme vous voyez est de deux écritures.