1736-03-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Vous avez touttes les vertus mon cher ami, vous êtes aussi bon fils que bon amy, votre cœur est fait pour touttes les différentes espèces de tendresse, et pour remplir tous les devoirs de l'humanité.
Vous faites un trait d'homme bien sage de quitter votre charge pour Les plaisirs. Je me flatte que vous aurez vos lettres de vétéran. Il est doux d'avoir ce nom et de conserver sa jeunesse. Sans doute L'argent de votre charge bien placé augmentera votre fortune. Vous aurez comme Tibulle,

et mundum victum non deficiente crumena.

Vous allez finir bientôt vos afaires, car qui n'en passera pas par ce que vous ordonnerez et quel autre arbitre que vous, peut on prendre dans les afaires qui vous concernent? Madame la marquise du Chatelet qui vous écrit par cet ordinaire espère vous posséder quelque jour dans le châtau dont j'ay été le masson sous les ordres de cette Minerve. Elle travaille tous les jours à changer ce désert en un séjour délicieux. Il n'y manquera rien, quand vous y serez.

Les afaires, les tracasseries, sont venues me chercher de Paris jusques dans le sein de cette solitude. Voylà ce qui fait que je vous écris si peu de chose et que je n’écris point au philosophe aimable Formont. Je vous embrasse mille fois mon cher ami, et L'espérance de vous voir à Cirey augmente tous mes plaisirs, et adoucit touttes mes peines. Rouen porte donc aussi des monstres. L'abbé des Fontaines en est un qu'il faudroit étouffer. Adieu.