Je n'ay jusqu'à présent, monsieur, été que le secrétaire de m. de Voltaire.
Ie veux être le mien aujourd'huy et v͞s dire moimême la part que ie prens à votre situation et combien je désirerois qu'elle se terminât de façon à v͞s permettre de venir voir vn hermitage dont l'amitié v͞s feroit les honneurs. La santé de votre ami est un peu meilleure, du régime et vn travail modéré la rendroient plus stable s'il le pouuoit prendre sur lui. Ie conçois que l'amour du trauail devorre quand on produit des Alzire. V͞s aués partagé son succés auec tant de sensibilité que i'aime à v͞s en parler.
V͞s aurés vu par la dernière lettre de m. de V. ce qu'il pense de m. Linant. V͞s devés bien croire que me l'ayant recomandé ie [vous] en aurois parlé si i'en auois été contente. Mr de V. dit que ce sont vos bontés qui l'ont gâté. Quoiqu'il en soit, on ne peut auoir vn amour propre plus insuportable et plus mal fondé. Il ne lui seroit pas permis d'auoir cette vanité quand il seroit tout ce qu'il croit être. Ie lui crois vn talent fort médiocre, nulle imagination, nulle inuention, vne ignorance rare. Ce sera toujours vn homme très médiocre. Il n'i a de mal à cela que de ne le pas croire, mais si v͞s v͞s estes mépris sur son esprit, ie crains bien que v͞s ne v͞s soyés encore plus trompé à son Coeür. La bonté et la douceur inaltérable de m. de V. lui ont fait dissimuler et passer sous silence des traits d'ingratitude qui sans la protection dont il l'honore lui auroient interdit ma maison depuis longtems. Les torts auec moi sont bien peu de chose. Il ne me doit que du respect, et le manque d'éducation peut l'en auoir fait manquer, mais p͞r m͞r de V. a qui il doit tout ce qu'il est, et qui l'a comblé de bienfaits, cela est tout diférend. Il ne faut qu'un Coeur p͞r sentir ce qu'on doit à la reconoissance. Si v͞s Conserués monsieur quelque bonté p͞r lui faite lui sentir qu'il doit par toute sortes d'endroits, le respect le plus grand, et la reconoissance la plus viue à m. de V., que s'en écarter vn moment, et n'en pas être occupé sans Cesse, c'est se rendre ndigne de vos bontés et des siennes, et que le malheur de sa fortune (qui seul m'a retenu jusqu'à présent) ne pouroit plus rien sur moi non plus que la protection de mr de Voltaire, si ie le vois mettre dauantage l'orgeüil et la malignité à la place du respect, de la reconnoissance qu'il lui doit. M. de V. a autant contribuée que v͞s à le gaster, mais il doit ne jamais abuser des marques de bonté que l'employ qu'il a dans ma maison et la politesse inséparable du caractère de votre ami, lui attirent de sa part. P͞r moi ie n'ay pas ce reproche là à me faire, ie l'ay traité assés durement, i'ay senti qu'il en auoit besoin, et de plus ie n'ay nul goût p͞r son esprit, quoique ie conuienne qu'il en a. Ie crois qu'à la fin il s'est rendu justice sur le genre d'ouurage qu'il auoit entrepris, et qu'il ne pense plus d'une tragédie. Il trauaille p͞r l'académie française, et ie l'en crois beaucoup plus capable. Voilà assurément trop parler de lui, mais l'intérest que v͞s y prenés m'i à déterminé. V͞s croyés bien qu'à la façon dont ie pense p͞r le frère ie ne suis pas disposée à prendre la soeür. Que voudriez v͞s d'ailleurs que i'en fis? vne femme de chambre? Cela rabaisseroit trop le précepteur de mon fils qui doit auoir vne sorte de considération dans le domestique, et p͞r ma compagnie ie ne crois pas que v͞s l'ayés imaginé.
Adieu monsieur, ie suis honteuse de la longueur de cette lettre et du peu de chose qu'elle contient. J'espère que les assurances de mon estime et de l'enuie que i'aurois d'auoir l'honneur de v͞s voir icy, v͞s la feront suporter. Votre amy v͞s dit mil choses tendres.
à Cirey ce 27e féurier [1736]