Monsieur,
Voici peut être la démarche de toute ma vie qui m'a le plus coûté, aussi faut il que je compte autant que je le fais sur vos bontez pour osez la hazarder.
Peut être ne l'aprouverez vous pas. N'importe. Voici le fait. J'ay un ouvrage sous la presse que l'avarice des libraires m'a obligé d'y mettre à mes frais et dont je ne croyois pas que la dépense menât si loing. Mes facultez me permettoient néanmoins d'espérer d'en venir heureusement à bout. Mais la concurrence d'un poste honorable et solide dans le quel je suis prest d'entrer du soir au matin et pour lequel il me faut tenir quelque comptant prest m'empesche d'achever l'ouvrage commencé et qui me raporteroit deux mille écus avant deux mois. Votre générosité qui s’étend sur tant de personnes me permettroit elle d'espérer que vous voudriez bien me mettre du nombre et m'avancer, moyennant les assurances ordinaires, une cinquantaine ou soixantaine de pistoles que je vous remettrois avant, ou tout au plus tard à Pasques? C'est ce que mon peu de mérite m'empesche de croire; mais d'un autre côté votre bon coeur et la confiance que m'a donné mr Desmoulins que vous me pouriez faire ce plaisir, m'ont rassuré. Avec de pareils garands j'ay cru monsieur que je pouvois hazarder cette demande. Il seroit fâcheux d'une part qu'un ouvrage qui en est à sa quatorzième feuille et qui n'en attend plus que six pour voir le jour fût obligé de rentrer dans le néant. Il ne le seroit pas moins pour moy de manquer un poste chez un Duc faute d'avoir de quoy paroitre honorablement. Comment faire? C'est monsieur ce que je vous prie de décider. Voici la quinzième épreuve qui m'arrive dans le moment que je vous écris. J'arêterai les autres jusqu’à ce que je sache votre décision que j'espère qui sera prompte. Permettez moy de bien espérer en l'attendant, et de vous assurer par avance que personne n'en sera plus reconnoissant que
Votre très humble et très obéissant serviteur,
De Bellemare
ce 12 janvier 1636 [1736]