1761-02-28, de Joseph Nicolas Deschamps de Chaumont, évêque de Genève-Annecy à [unknown].

Monsieur

J'ay eû quelques raisons qui ne m'ont pas permis encore de rendre publiques les lettres que Voltaire m'a écrittes, quoique dans le vrai elles soïent pitoïables et ne méritent même pas qu'on en fasse païer le port; celle qu'il m'a écrit au sujet de sa nouvelle Convertie avoit quelque chose de séduisant par le détail de la manière dont il s'y étoit pris, et par les politesses d'ailleurs pour moy qui y étoient contenuës; j'ay tout lieu même de penser qu'il s'étoit flatté par la de m'arracher une réponse dont il auroit pu faire ûsage d'une manière conforme à ses intentions; car malgré ses Relations avec ce qu'il y a de plus grand à la Cour de France, je sais qu'il est réellement au désespoir de n'avoir pas la liberté d'aller à Paris; Mais comme l'imprudençe fut toujours la partie principale de son Caractêre; il ne put s'empêcher en même tems de se livrer à sa haine contre un Curé innocent qu'il a toujours persécuté; il donna par là occasion à la tournure de la réponse que je lui fis par L'ordinaire du lundy.
Fondé d'ailleurs sur un juste préssentiment qu'il ne s'en tiendroit pas à son premier début; je lui surchargeai heureusement ma seconde lettre par l'ordinaire du vendredy, il m'écrivit de façon à me faire voir d'une part que ma première lettre ne lui avoit pas déplû, il finissoit même en me reconnoissant pour son Evêque et pour son maitre spirituel et en priant Dieu pour mes sujets et Enfants Rebeles. Qoy de plus édiffiant? Mais d'autre part, il m'adressoit par le même ordinaire un plaintif dont il êtoit l'auteur, que contre la Règle il venoit de faire imprimer en faisant tirer jusqu'à dix mille exemplaires, et qui n'êtoit qu'un libelle diffamatoire des plus affreux contre mon Curé. Quoique três persuadé d'avançe de la calomnie je fis partir sur le champ un exprès avec ordre à Mon Official de procéder par information sur le fait; ma seconde lettre reçuë trés àpropos mis Voltaire hors des gonts; en lui conseillant de prendre une Ananie, je lui avoit indiqué par un renvoy à la marge le st Gudin, curé de Verny, qui est un savant et vertueux Ecclésiastique du Païs de Gex. Voltaire furieux pendant trois jours n'a trouvé dans sa verve défaillante d'autres réponses que celle de me renvoïer ma lettre, disant que c'êtoit une méprise de mon secrétaire, et par l'apostille il jugeoit qu'elle ne pouvoit être que pour Mr Gudin, ajoutant qu'il pensoit bien d'ailleurs qu'une pareille lettre ne pouvoit pas être pour un Gentilhomme ordinaire de la chambre de S. M. T. C. et pour un Seigneur de Paroisses. Vous conviendrés que voila un prélude bien propre à terrasser; Tout le rest de sa lettre fait pitié, il prie Dieu pour moy à la messe qu'il n'entend pas, il me dit d'un ton gravement foû à tous êgards que si tous les seigneurs de Parroisse pensoient comme lui je me verrois bientôt dans ma maison à Genêve. En un mot il me compte douçeur d'une part, tandis que d'un autre côté se livrant à la bile qui le domine il emploit des expressions polies et flatteuses dans un sens, susceptibles d'ailleurs de L'ironie la plus amêre, et la plus mordante; Mais ce qu'il y a d'affreux, c'est qu'il n'a point de honte d'employer à tout moment le nom de Jesus Christ, qui n'est rien moins pourtant qu'un Blasphême réel dans une bouche aussi impie et aussi sacrilège que la sienne; il finit en me disant qu'il se joint à moy comme à son Evêque dans la communion de fidèles, dans l'espérance du salut, et dans l'amour de nôtre seigneur Jésus Christ; Mais il ajoute tout de suitte au bas de sa signature qu'il se flatte que mon secrétaire ne lui enverra plus de semblables lettres: que celleci est incompréhensible. Il est bon de vous dire en passant que la prétenduë Prosélite qu'il a convertie avec tant d'édification, est une fille qui a accouchée chés lui d'un fils plein de vie, tous les deux vraïement dignes d'un zêle aussi êpuré que celui de Voltaire. En voilà plus qu'il n'en faut, je pense, pour mettre son inconvertibilité dans un degré d'Evidence, qui ne souffre point de réplique; hors du cas d'un miracle qu'il n'y a pas lieu d'espérer. Mais revenons à mon Curé, les informations prises sur son compte ont été si fort à sa décharge que Voltaire se voïant à son tour pris à partie sur l'imprimé de son libelle diffamatoire et dans la juste crainte d'être décrété lui même. Les derniers avis que j'ay reçûs, portent qu'il débagage à Fernex terrain de France, s'il ne s'est pas déjà rendu aux Déliçes sur celui de Genêve; j'ay l'honneur d'être avec autant d'attachement que de respect.