1763-05-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis Gaspard Fabry.

Monsieur,

Il n'appartient qu'à vous de rendre compte à mgr le comte de la Marche de ce qui se passe dans sa terre.
Je pense que vous ne vous compromettrez en aucune façon, en lui envoyant un mémoire concernant la condamnation du nommé Motty. Si l'on peut prouver qu'il n'a tué un homme qu'en déffendant son frère et en se déffendant soi même, et qu'il a été même pansé dans la prison par le g[ardien] lui même, des blessures qu'il avait reçues, alors, le cas par[aîtra] graciable, et mr le comte de La Marche aimera probablem[ent] mieux demander la grâce du coupable, que de dépenser beaucoup d'argent pour le faire pendre.

Mais si les charges et informations sont absolument conformes au mémoire que j'ai vu, et si on n'a autre chose à dire en faveur du condamné sinon qu'il est de la plus belle figure, il n'y a pas d'aparence que mr le chancelier soit fort touché de cette raison.

Vous pouriez encor, Monsieur, employer le crédit de mr L'Intendant, qui pourait écrire en droiture à mr le chancelier, et demander lui même la grâce du condamné, en spécifiant qu'on a mal à propos suprimé dans les procédures, que le condamné ne s'est servi de son sabre qu'à son corps déffendant. On pourait encor aléguer, que la querelle s'est passée entre le condamné et les valets de campagne du Lieutenant criminel, et qu'il est à présumer que le procez verbal a été rédigé à [l'a]vantage de ces valets.

Si vous vouliez bien, monsieur, faire donner avis à la famille Betems du village de Moëns, qu'on va leur renvoier leur parent, et qu'elle prenne les mesures qu'elle trouvera convenables. C'est d'ailleurs au curé de Moëns à se mêler des fous de son village.

Toute nôtre famille vous fait les plus tendres compliments. J'ai L'honneur d'être avec l'attachement le plus inviolable, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur.

Voltaire