Ferney 3e Janvier 1759
Il est juste, Monsieur, que je prenne les intérêts des pauvres habitans de Ferney, quoique je ne sois pas encor leur Seigneur, n'ayant pû signer jusqu'à présent le contract avec Monsieur De Boisy.
Monsieur l'Intendant de Bourgogne, Monsieur le Président de Brosses, et quelques autres magistrats, m'ont fait l'honneur de me mander qu'ils feraient tout ce qui dépendrait d'eux pour adoucir la véxation qu'éprouvent ces pauvres gens; le Sieur Nicot, procureur à Gex, mande aux communiers de Fernex que le curé de Moëns leur persécuteur, est venu le trouver pour luy dire qu'il les poursuivrait à toute outrance, ce sont ses propres mots, et j'ai la lettre. Je vous supplie, monsieur, d'en avertir monsieur l'Intendant, qui est le père des communautés; vous partagez ses fonctions et ses sentiments. Il est bon de lui représenter, 1. qu'il est bien étrange, qu'un curé ait fait à des pauvres, pour 1500 £ de frais pour une rente de trente livres. 2. que les communiers de Ferney ayant plaidé sous le nom de pauvres, tels qu'ils le sont, peuvent être en droit d'agir, in forma pauperum, selon les loix romaines, reconnües en Bourgogne. 3e que le curé de Moëns ayant fait le Voïage de Dijon et de Mâcon, pour d'autres procez dont il s'est chargé encore, il n'est pas juste qu'il ait compté dans les frais aux pauvres de Ferney, tous les voïages qu'il a entrepris pour faire d'autres malheureux.
Si vous voulez bien, Monsieur, donner ces informations à Monsieur l'Intendant, Comme je vous en supplie, faites moi la grâce de les accompagner de la protestation de ma reconnaissance et de mon attachement pour lui.
Je profite de cette occasion pour vous parler d'une autre affaire. Un genevois, nommé Monsr Mallet, vassal de Ferney, a gâté tout le grand chemin dans la longueur d'environ quatre cent toises, aumoins, en faisant bâtir sa maison, et n'a point fait rétablir ce chemin. Il est devenu de jour en jour plus impraticable. Ne jugez vous pas qu'il doit au moins contribuer une part considérable à cette réparation nécessaire? Le reste de cette petite route étant continuellement sous les eaux et la communication étant souvent interrompüe, n'est-il pas de l'intérêt de mes paÿsans qu'ils travaillent à leur propre chemin? Je suis d'autant plus en droit de le demander, que je leur fais gagner à tous depuis deux mois plus d'argent qu'ils n'en gagnaient auparavant dans une année? Ne dois-je pas présenter requète à Monsieur l'intendant pour cet objet de police? Je me chargerai, si on ordonne des corvées, de donner aux travailleurs un petit salaire.
Je vous répête, Monsieur, que je me charge de tous ces soins, quoi que la terre de Ferney ne m'appartienne pas encore; je n'ai qu'une promesse de vente, et une autorisation de toute la famille de Monsieur de Budée, pour faire dans cette terre tout ce que je jugerai à propos.
Ce que le conseil de Monseigneur le Comte de la Marche éxige de moi est cause du long retardement de la signature du contrat; il faut que je spécifie les domaines relevant de Gex et d'autres seigneurs; je n'ai point d'aveu et dénombrement, Fernex aïant été longtemps dans la maison de Budée, sans qu'on ait été obligé d'en faire.
Je crois avoir déjà eu l'honneur de vous mander que plusieurs seigneurs voisins prétendent des droits de mouvance qui ne sont pas éclaircis; Genêve, l'abbé de Prévezin, la Dame de la Bâtie, le seigneur de Feuillasse, les Jésuïtes, même, à ce qu'on dit, prétendent des Laods et ventes; et probablement leurs prétentions sont préjudiciables aux droits de Monseigr le Comte de la Marche qui sont les vôtres. J'ai lieu de croire que vous pouvez m'aider, Monsieur, dans les recherches pénibles que je suis obligé de faire; vos lumières et vos bontés accélèreront la fin d'une affaire que j'ai d'autant plus à coeur qu'elle vous regarde.
Si vos occupations vous dérobent le temps de rendre compte de ma Lettre à Monsieur l'intendant, vous pouvez la lui envoïer.
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois
Monsieur
Vôtre très humble et très obéisst serviteur
Voltaire