Le 3e fév. 1761
De peur de l'oublier je commence, mes chers amis, par un mot de Voltaire qui m'a fait rire, et que je souhaite pourtant qu'on ne publie pas.
Il devient chaque jour plus fou et plus déraisonnable dans sa conduite, n'écoutant aucun conseil, et ne faisant rien que par caprice ou par passion. Il s'est mis dans un grand embarras d'affaires et de procez pour faire de la peine aux Jésuites, et depuis trois semaines il s'est mis dans la tête de faire pendre un curé. Celui d'une paroisse voisine de Fernex ayant apris un soir que trois hommes soupoient chez une femme de sa paroisse, y alla avec quatre païsans armez de bâtons, et laissa un des hommes sur le carreau très dangereusement blessé. Il n'en est pas mort mais il n'est pas encor guéri. Le Père du blessé, Horloger au grand Saconai, poussé par Voltaire, a demandé justice à Gex. Voltaire à écrit à Dijon, à Anneci, et s'est trop montré l'instigateur du plaignant, toute la Pretraille et tout Gex sont pour le Curé, vraisemblablement l'information ne sera pas concluante contre lui. Les païsans ont pris la fuite. Cependant on a fait de toutes parts des promesses et des menaces à l'horloger pour qu'il s'accomode et cesse sa poursuite, il est quelquefois intimidé et prêt à se rendre. Voltaire est incessamment à ses trousses pour lui donner du courage. Hier cet homme lui disoit, mais Monsieur ils m'assassineront. Hé tant mieux dit Volt., c'est alors que nous aurions beau jeu contre ces Prêtres….
Adieu, mes très chers amis, j'ai les bouts des doigts gelez, mais mon cœur est chaud comme braise pour vous.