1761-01-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Philippe Fyot de La Marche.

Monsieur,

Permettez qu'au commencement de cette année je vous renouvelle les sentiments de la reconnaissance que je dois à vos bontez et à touttes celles dont monsieur votre père m'a honoré si longtemps.
Permettez en même temps que j'aye recours à vous, dans un événement qui intéresse toutte notre petite province de Gex au nom de la quelle j'ay l'honneur de vous parler.

Le fils d'un bourgeois de Saconey au pays de Gex a été assassiné par un curé d'un village nommé Moens, et par plusieurs paysans complices de ce curé. Le crime a été commis le 28 xbre, nous sommes au trois janvier; et àpeine y a t'il une faible procédure commencée par la justice de Gex. J'ay vu le fils du sr de Croze blessé, je l'ay vu dans son lit n'attendant que la mort. Le père, très âgé, et incapable de suivre cette cruelle affaire par son âge et par sa douleur, m'a remis un mémoire que j'ay envoyé à m. le procureur général. Je vous supplie instamment monsieur de vouloir bien vous le faire représenter. Les officiers de la justice de Gex furent très empressez à faire une descente sur les lieux il y a deux ans, au sujet de six noix volées sur mes terres, et d'un coup de sabre très léger donné sur le bras du voleur. Ils entendirent cinquante deux témoins, ils firent des informations de vie et de mœurs croyant que je payerais tous leurs frais (en quoy ils se sont trompez). Aujourduy qu'il s'agit de la sûreté publique, d'un assassinat avéré, d'un mourant, et de deux blessez, je crois que nous avons besoin de votre autorité pour encourager les officiers de Gex à faire touttes les diligences que mérite un cas si extraordinaire. Nous attendons tout de votre bonté et de votre pouvoir, et en mon particulier monsieur je vous aurai plus d'obligation qu'un autre, mes terres touchant de tous les côtez au lieu où le crime a été commis; et les habitans de ce lieu étant d'une férocité qu'on ne peut trop craindre et trop réprimer.

Je suis avec beaucoup de respect

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire