Wehlau, 7 octobre 1735

Mon cher comte,

Votre lettre accompagnée du portrait de Voltaire, sont arrivés tous deux en bon état aux confins de la Lithuanie.
Quoique j'aie déjà vu le portrait de Voltaire, cependant je n'ai point été fâché de le recevoir et de le relire encore et cela principalement parce que vous me l'envoyez; le célèbre mr Ramsai en est l'auteur ainsi que de la vie du maréchal Turenne; cette pièce est d'un orateur et d'un homme qui s'explique avec beaucoup d’éloquence, mais il m'a paru que pour vouloir dire trop de Voltaire, il n'en persuade que moins. J'avoue cependant qu'il attrape beaucoup de traits des son caractère et qu'il y a infiniment du vrai dans ce portrait, mais des vérités outrées et qui semblent plutôt provenir de quelque animosité particulière, que de ces sentiments nobles qui ne nous font dire les choses que par la persuasion, que nous en avons; ainsi je crois qu'il y a eu des chicanes entre ces deux illustres écrivains et que l'aigreur de mr Ramsai a peut-être trop offusqué sa vue et lui a fait aggrandir les objets. Il y a une pièce, que l'on attribue à Voltaire (mais qui n'a aucunement son stile), qui y sert de réponse; l'on l'a nommé la Ramsayade: les vers en sont mauvais et c'est plutôt un entassement d'invectives suivies et qui accuse sans prouver; entre autres choses il y a des endroits qui sont au dessous du médiocre, et qui sentent l'auteur de six sols plutôt que la plume élégante de Voltaire. Ainsi selon mes lumières, ces deux messieurs (ou ceux qu'ils ont employés) auraient bien mieux fait, de s’épargner tous deux et de cacher des défauts personnels, qui importent très peu au public et qui ne peuvent être intéressant qu’à quelque facétieux, qui aime à ouir dire du mal de son prochain. Il me suffit (et je crois que tout le monde devrait être de mon avis), il me suffit dis je que ces savants hommes m'enrichissent du tribut de leurs veilles; qu'ils écrivent bien et qu'après ils fassent dans la vie civile ce que bon leur semble, aux blasphèmes, meurtre, trahison et crime [de] lèse majesté près….